
L’alliance Gucci Group (‟Gucci”) Pinault Printemps Redoute (‟PPR”) est basée sur une offre d’achat hostile très connue, qui s’est jouée en appliquant la réglementation sur les Offres Publiques d’Achat (‟OPA”) à l’avantage de PPR, rivant le pion à son rival Louis Vuitton Moët Hennessy (‟LVMH”).
Depuis le début de l’année 2003, la presse économique cite fréquemment le groupe de distribution Pinault Printemps Redoute (‟PPR”). Tout d’abord, parce que celui-ci multiplie les cessions de ses actifs jugés non stratégiques (vente au Crédit Agricole de 61 pour cent du capital de Finaref; rachat par Office Depot de Guilbert, leader européen de la distribution de fournitures de bureau aux entreprises; cession au groupe Wolseley de Pinault Bois & Matériaux, etc); mais aussi parce que PPR a racheté en parallèle de nombreuses actions de la société de droit néerlandais Gucci Group (‟Gucci”), portant sa participation dans le groupe de luxe à 63,28 pour cent au 8 mai 2003. Cet article détaille l’alliance Gucci PPR.
En outre, François Pinault, le fondateur du groupe PPR et l’homme ayant organisé le recentrage du groupe vers le luxe et la grande distribution, vient de céder la présidence d’Artémis, la société holding détenant 42 pour cent de PPR, à son fils François-Henri Pinault.
Enfin, le styliste de Gucci, Tom Ford, a exercé, début mai 2003, 1 million de ses stocks-options sur les 4 qu’il peut utiliser de décembre 1999 à juin 2004. Ce désengagement de Tom Ford dans l’actionnariat de Gucci a été interprété comme un signe de son prochain départ du groupe de luxe, accentué par le fait que son contrat de travail arrivera à terme en juin 2004. Ces rumeurs ont été démenties par le créateur qui annonçait son intention de rester tant que ‟sa liberté de création ne serait pas menacée”.
Il convient de rappeler le contexte ayant permis à PPR de devenir l’actionnaire majoritaire de Gucci, ainsi que les objectifs vers lesquels ces deux groupes tendent aujourd’hui.
L’alliance Gucci PPR: la découverte du chevalier blanc, PPR
Selon l’article 1er du Règlement COB n°2002-04, une Offre Publique d’Achat (‟OPA”) correspond à ‟toute offre faite publiquement aux détenteurs d’instruments financiers négociés sur un marché réglementé en vue d’acquérir tout ou partie desdits instruments financiers”. Lorsqu’une OPA hostile (c’est à dire non souhaitée par l’émetteur cible) est ou va être lancée sur une société, il existe une tactique de défense qui consiste, pour l’entreprise victime de l’attaque, à trouver un chevalier blanc (‟white knight”) afin de préserver son indépendance. La stratégie est de vendre un large bloc d’actions à un investisseur amical que la société cible ne considère pas comme un concurrent ou un danger.
C’est la solution pour laquelle Gucci a opté en mars 1999, suite au rachat par Louis Vuitton Moët Hennessy (‟LVMH”) de 34,4 pour cent de son capital (20.154.985 actions). Quatre ans plus tôt, Gucci était introduite en bourse à New York et à Amsterdam à un cours de USD22 et, cinq ans auparavant, Domenico De Sole était nommé PDG du groupe de luxe italien, alors que Tom Ford accédait au rôle de directeur artistique. Ces deux hommes ont vu le rachat d’actions Gucci en janvier 1999 par LVMH d’un très mauvais œil, Louis Vuitton étant le concurrent direct majeur de leur société. En effet, même si LVMH n’était pas soumise à l’obligation de droit français de déclencher une OPA suite au franchissement du seuil de 33,33 pour cent dans le capital de Gucci (puisque le fait que la cible soit cotée aux Pays-Bas fait tomber la potentielle opération dans le champ de compétence de la loi néerlandaise, qui n’impose pas de faire une OPA dans de telles circonstances), le premier groupe de luxe au monde prenait néanmoins une position prépondérante au sein du capital du maroquinier italo-néerlandais.
Pour contrer l’attaque, Domenico De Sole et ses conseillers ont tout d’abord organisé une augmentation de capital par apport en numéraire, réservée aux salariés, dans le cadre d’un ‟Employee Stock Ownership Plan”, visant à diluer la part de LVMH dans le capital à 25,6 pour cent. Toutefois, cette augmentation de capital fut annulée par la Chambre des Entreprises de la cour d’appel d’Amsterdam parce que celle-ci jugea l’augmentation douteuse. Alors que la Chambre des Entreprises invitait LVMH et Gucci à négocier, dans sa décision du 3 mars 1999, Gucci mis subtilement en œuvre la technique du chevalier blanc: Morgan Stanley, la banque d’affaires de Gucci, suggéra de lancer une seconde augmentation de capital par apport en nature, qui serait réservée à PPR, un groupe jusqu’alors inconnu dans le luxe; ceci aurait pour conséquence la dilution de la participation de LVMH de 34,4 pour cent à 20,6 pour cent. Gucci, qui voulait échapper à LVMH, se montra enthousiaste mais peu disposée à faire des concessions sur le prix de vente de ses actions; PPR qui, en parallèle, négociait le rachat de Sanofi Beauté dont les actifs comprenaient notamment Yves Saint Laurent Couture et Yves Saint Laurent Parfums, souhaitait se diversifier dans le secteur du luxe. Le 19 mars 1999, le ‟Strategic Investment Agreement” (‟SIA”) entre PPR et Gucci fut signé, immédiatement suivi de l’augmentation de capital: pour acquérir 39.007.133 actions, soit 40 pour cent du capital de Gucci, PPR dû payer USD2,9 milliards, soit USD75 par action Gucci (alors que le cours de la bourse à l’époque était de USD60 par action). La Chambre des Entreprises de la cour d’appel d’Amsterdam refusa, dans son arrêt du 27 mai 1999, d’annuler cette augmentation de capital à la demande de LVMH, estimant que toute société cible a le droit de se défendre contre un ‟actionnaire inopportun qui acquiert un degré dominant ou notable de pouvoir”.
La menace sous-jacente, au sein de la stratégie du chevalier blanc, consiste en ce que les relations entre le dit chevalier et la société se détériorent, et que le premier souhaite à terme acquérir le contrôle total de l’entreprise qu’il a préalablement ‟secourue”.
Les clauses de ‟standstill” et l’échéance de mars 2004
Afin d’éviter que le chevalier blanc ne se transforme en ‟raider” hostile, les sociétés utilisent en général les conventions de ‟standstill”, qui imposent certaines limites à l’investisseur entrant dans le capital de l’entreprise afin de protéger celle-ci d’une OPA non consentie. Ainsi, le contrat d’achat d’actions limitera le pourcentage d’actions que le chevalier blanc pourra acquérir, en plus des actions obtenues préalablement dans le cadre de la stratégie défensive face à la tentative d’OPA hostile, durant une période de temps spécifique nommée ‟période de ‟standstill””.
Pour aménager au mieux les rapports entre Gucci et PPR, le SIA comprenait une période de ‟standstill” de cinq ans (jusqu’en 2004) durant laquelle PPR acceptait de ne pas porter sa part dans l’actionnariat de Gucci à plus de 42 pour cent. L’autonomie de Gucci était en outre préservée par des clauses complémentaires de non-concurrence entre PPR et Gucci et d’assurance de l’indépendance de Gucci. Entre juin 1999 et novembre 2000, LVMH a interjeté appel de la décision de la Chambre des Entreprises de la cour d’appel d’Amsterdam du 27 mai 1999, et a intenté cinq actions auprès de la Cour du District d’Amsterdam contre Gucci, afin, entre autre, de faire annuler le SIA ainsi que l’augmentation de capital en faveur de PPR. Suite à deux ans et demi de négociation, les trois parties en présence (Gucci, PPR et LVMH) ont trouvé un consensus, adoptant un accord de rachat d’actions (l’‟Accord”) et modifiant le SIA le 9 septembre 2001.
L’Accord prévoyait la résolution du conflit entre les trois sociétés en trois étapes, afin d’aboutir au désengagement de LVMH dans la part de 20,6 pour cent détenue dans le capital de Gucci; en contrepartie de quoi LVMH, Gucci et PPR acceptaient de retirer toutes plaintes et actions judiciaires en cours relatives aux parts dans l’actionnariat de LVMH, PPR et Gucci. Dans un premier temps, PPR s’est obligée à acquérir le 22 octobre 2001, 8.579.337 actions (représentant 8,6 pour cent du capital de Gucci) auprès de LVMH, à un prix de USD94 par action. Dans une deuxième étape, un dividende exceptionnel de USD7 par action devait être versé par Gucci à tous ses actionnaires sauf PPR, au plus tard le 15 décembre 2001. Enfin, PPR a accepté de lancer une OPA à l’attention des actionnaires minoritaires de Gucci (y compris LVMH) à la date du 22 mars 2004, au prix de USD101,50 par action afin d’acquérir le solde du capital de Gucci; cet engagement étant assorti de clauses de pénalité au cas où PPR renoncerait à faire cette offre pour une cause autre que la force majeure (LVMH et Gucci auraient alors le droit de réclamer des dommages et intérêts à PPR et Gucci pourrait distribuer des dividendes en actions, ce qui réduirait la participation de PPR dans cette société à 42 pour cent). Une clause de ‟standstill” à l’égard de LVMH fut insérée dans l’Accord, puisque du 9 septembre 2001 au 31 décembre 2009, LVMH et ses filiales ne pourront acquérir d’actions du groupe Gucci, sauf à lancer une OPA sur 100 pour cent des actions Gucci, suite à l’autorisation préalable du conseil d’administration et des directeurs indépendants de Gucci. LVMH ne pourra en outre pas, durant cette période, s’immiscer dans la gestion de cette société et s’est engagée à être un actionnaire passif, n’exerçant ses droits que pour recevoir des dividendes et voter aux assemblées générales. Le 17 décembre 2001, suite à la réalisation des deux premières étapes de l’Accord, LVMH vendait les 11.565.648 actions restant en sa possession (représentant 11,5 pour cent du capital de Gucci) au Crédit Lyonnais, à un prix moyen de USD90 par action, se désengageant totalement du capital de la société de luxe italienne. Ainsi, Gucci a réussi à tenir LVMH à distance, avec l’Accord, et a par ailleurs profité de la renégociation du SIA pour modifier la clause de ‟standstill” qui la liait à PPR.
Dans le nouveau SIA, PPR s’est engagée à n’acquérir que 70 pour cent du capital de Gucci pendant une période de ‟standstill”, qui prendra fin soit à la date d’exécution de l’OPA en mars 2004 (à condition que les actionnaires minoritaires ne détiennent plus que 15 pour cent du capital de Gucci ou qu’ils n’aient plus que 15 millions d’actions Gucci en leur possession); soit, si l’offre n’a pas lieu, à la date d’expiration du nouveau SIA (le 19 mars 2009). Par conséquent, PPR ne peut acquérir plus de 70 pour cent des actions Gucci, notamment par le biais de ramassages des titres sur le marché secondaire, avant l’OPA de mars 2004.
La stratégie de recentrage de PPR: la constitution du 3e groupe de luxe mondial
Pour acquérir les 60 pour cent de Gucci qu’elle détenait au 1er mars 2003, PPR a déjà dépensé 4,6 milliards d’Euros, et elle prévoit un budget d’1 milliard d’Euros supplémentaire (sur la base d’une estimation de 85 à 90 Euros l’action) pour monter sa part dans l’actionnariat de Gucci à 70 pour cent avant l’OPA. Cette dernière opération financière devant avoir un coût de 3 milliards d’Euros, le recentrage de PPR sur le secteur du luxe se chiffre à 8,6 milliards d’Euros. D’où la nécessité pour PPR, dont le ratio d’endettement s’élevait à 76 pour cent fin 2002, de vendre ses actifs non stratégiques (tels que les marques de distribution aux professionnels et les services financiers), afin de générer un flux d’espèces nécessaire au remboursement de la dette du groupe et au financement de l’opération Gucci. PPR a ré-échelonné en parallèle sa dette, en émettant des titres obligataires (appelés ‟Océanes”) pour un montant de 940 millions d’Euros à la mi-mai 2003.
La restructuration du groupe PPR, tant sectorielle que financière, est en cours; son point culminant étant l’OPA de mars 2004 par laquelle la société fondée par François Pinault devrait obtenir le contrôle de la totalité du capital de Gucci. Si l’ingénierie financière permettra d’atteindre ce résultat, le défi le plus ambitieux que PPR aura sans nul doute à relever consiste en la mobilisation d’une équipe de direction soudée et motivée par la réussite du groupe dans le luxe, et en l’élargissement de la part de marché de l’entité restructurée dans ce secteur industriel aux marges largement bénéficiaires.
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