
En 2018, j’ai écrit un article sur l’utilisation des modes alternatifs de résolution des litiges (‟ADR”) – en particulier l’arbitrage – dans les industries créatives. À la suite de la ‟California arbitration week” et de la semaine de l’arbitrage à Paris, qui ont toutes deux eu lieu plus tôt cette année en mars et avril 2022, il convient de se demander si l’ADR devient vraiment l’outil de choix, pour les industries créatives, pour résoudre leurs différends.
1. De plus en plus d’institutions d’ADR ont des panels spécialisés d’arbitres spécialisés dans les industries créatives
Une tendance majeure qui a éclaté depuis 2018 est que les institutions d’ADR (c’est-à-dire les organismes qui ont vu le jour au fil des ans, spécialisés dans la fourniture de services de médiation et/ou d’arbitrage) ont compris la nécessité de fournir un pool d’arbitres et de médiateurs qui sont profondément conscients du fonctionnement interne d’un secteur industriel particulier.
Par exemple, la Cour d’Arbitrage pour l’Art (‟CAfA”) a été créée en 2019, aux Pays-Bas, en tant que tribunal spécialisé d’arbitrage et de médiation exclusivement dédié à la résolution des litiges en matière de droit de l’art. Bien qu’il ne soit pas clair si CAfA a déjà été utilisé pour résoudre de nombreux litiges artistiques, sa raison d’être est d’administrer des arbitrages nationaux et internationaux menés par des arbitres ayant une expertise significative dans l’art et le droit de l’art. A ce titre, je suis arbitre et médiateur inscrit sur le panel des arbitres spécialisés en droit de l’art de CAfA.
En ce qui concerne le secteur du cinéma et du divertissement, la grande nouvelle de 2021 a été que l’‟Independent Film & Television Alliance” (‟IFTA”), basée à Los Angeles, aux États-Unis, a délégué l’ensemble de la gestion de son panel d’arbitres axés sur le droit du divertissement à un autre centre d’ADR, à savoir l’‟American Arbitration Association” (‟AAA”) et son antenne internationale, l’‟International Center for Dispute Resolution” (‟ICDR”). Ainsi, en tant que membre du panel IFTA, j’ai été intronisée au panel de droit de l’‟entertainment” AAA/ICDR en février 2022, lors d’une formation obligatoire sur la gestion des cas, menée sur Zoom, avec la plupart des autres arbitres du panel IFTA.
Pour le secteur des technologies de l’information, le ‟Silicon Valley Arbitration & Mediation Center” (‟SVAMC”) a vraiment pris son envol depuis 2018. Bien que le SVAMC ne soit pas une institution d’ADR fournissant des services de médiation ou d’arbitrage en soi, il publie chaque année la ‟Tech List”, qu’il promeut comme ‟la liste des principaux arbitres technologiques au monde, vérifiés par des pairs et limités à des arbitres et médiateurs exceptionnellement qualifiés, et connus dans le monde entier, pour leur expérience et leur compétence dans l’élaboration de solutions juridiques pratiques pour les entreprises dans le secteur de la technologie” (sic). Bien que cette liste soit encore très centrée sur les États-Unis, ainsi que sur les arbitres de sexe masculin, elle peut s’avérer utile pour les parties qui souhaitent s’assurer que les arbitres nommés pour résoudre leurs différends sont spécialisés dans la technologie et comprennent le monde international des affaires technologiques.
2. De plus en plus de litiges dans les industries créatives sont résolus par arbitrage
Alors que mon article sur l’ADR de 2018 était un peu un vœu pieux, l’ADR a depuis vraiment trouvé sa place, en tant qu’outil de choix pour les industries créatives pour résoudre leurs différends, de manière confidentielle, efficace et à la fine pointe de la technologie.
Avec la gestion de la pandémie de COVID 19 entraînant un vaste arriéré d’affaires judiciaires, sur les rôles de presque tous les tribunaux du monde, depuis deux ans, et avec une incapacité des tribunaux publics à adopter des audiences virtuelles et des méthodes de gestion électronique des affaires, les créatifs du monde entier ont vraiment commencé à apprécier le recours aux services de médiation et d’arbitrage pour régler de manière décisive et efficace leurs conflits civils et commerciaux.
C’est une aubaine pour les institutions ADR, avec Chris Poole, le PDG du ‟Judicial Arbitration & Mediation Service” (‟JAMS”) basé à Los Angeles, se vantant, lors d’une interview, que même les Kardashian utilisent les services de JAMS pour résoudre leurs différends commerciaux!
Comme souligné lors de la première édition de la ‟California International Arbitration Week”, les institutions d’ADR basées en Californie, telles que JAMS et AAA/ICDR, et les arbitres situés en Californie, ont tout à gagner de ce nouvel intérêt pour l’ADR, de la part des industries de l’‟entertainment”, de la musique, des technologies de l’information et des médias, dont les parties prenantes sont principalement basées à Los Angeles et dans la Silicon Valley. Il est donc possible que la Californie devienne un lieu d’arbitrage de premier plan, à l’avenir, au même titre que Paris ou Londres.
Les institutions d’ADR se positionnent également à l’avant-garde du règlement des litiges, en adoptant des solutions et des outils technologiques, tels que:
- mener des arbitrages via des audiences virtuelles;
- utiliser des signatures électroniques pour signer des sentences arbitrales et d’autres documents officiels;
- tirer le meilleur parti des plateformes électroniques de gestion des dossiers créées ad hoc, qui sont simultanément utilisées par les tiers médiateurs, les parties et les gestionnaires de dossiers d’ADR lors des arbitrages ou des médiations, et
- mettre en place des conditions générales de confidentialité des données solides, et des pare-feu contre les cyberattaques, pour protéger les données de toutes les parties prenantes qui sont divulguées en ligne, lors de la résolution de ces litiges,
afin que les parties et les médiateurs puissent se rencontrer virtuellement, malgré les fermetures et les restrictions de voyage, pour poursuivre les processus d’arbitrage ou de médiation et rendre des sentences arbitrales ou des décisions de médiation en temps opportun.
La semaine de l’arbitrage de Paris 2022 a accueilli plusieurs événements sur les litiges sportifs et d’esports et l’ADR, soulignant à quel point l’arbitrage est devenu essentiel pour résoudre les conflits dans le sport et, potentiellement, l’esport, via les services de l’institution quasi monopolistique d’ADR appelée Cour d’arbitrage du Sport (‟CAS”). En effet, créée en 1984 par le Comité International Olympique, la CAS, basée à Genève, traite les litiges disciplinaires et commerciaux directement et indirectement liés au sport. Par l’intermédiaire de ses deux chambres principales, la Chambre d’arbitrage ordinaire (qui fonctionne comme un tribunal d’instance unique) et la Chambre d’arbitrage d’appel (qui connaît des affaires portées devant lui en appel par les fédérations et les organisations sportives), la CAS a rendu des sentences arbitrales sur les conflits sportifs récents les plus médiatisés, tels que l’affaire Caster Semenya contre l’Association internationale des fédérations d’athlétisme (‟IAAF”) et la saga antidopage Sun Yang en Chine.
3. Pourquoi l’arbitrage est la voie à suivre pour résoudre les litiges transfrontaliers, après le Brexit, entre des parties situées dans l’Union Européenne et au Royaume-Uni
Comme expliqué en détail dans mon article de 2021 ‟Comment exécuter les jugements civils et commerciaux après le Brexit?”, le nouveau régime d’exécution et de reconnaissance des jugements de l’Union européenne (‟UE”) au Royaume-Uni (‟RU”), et inversement , est incertain et semé d’embûches quant au champ d’application de la convention de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d’élection de for.
Dans ce contexte, qui ne devrait pas changer tant que le RU n’aura pas conclu d’accords bilatéraux avec l’UE sur l’exécution et la reconnaissance des décisions de justice, il est grand temps que les industries créatives veillent à ce que tout litige découlant de leurs nouveaux accords contractuels soit résolu par arbitrage.
En effet, comme expliqué dans notre article ‟Règlement alternatif des litiges dans les industries créatives”, les sentences arbitrales sont reconnues et exécutées par la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères de 1958 (la ‟Convention de New York”). La Convention de New York n’est pas affectée par le Brexit, puisqu’elle a été signée par le RU en tant qu’état-contractant. De plus, Londres, la capitale du RU, est l’un des sièges d’arbitrage les plus populaires et les plus fiables au monde. Conscient des problèmes posés par le Brexit sur l’exécution et la reconnaissance des décisions de justice, le gouvernement du RU a décidé de renforcer davantage l’attractivité de son pays en tant que siège d’arbitrage, en révisant et en améliorant sa loi sur l’arbitrage de 1996.
Les entreprises créatives et les entrepreneurs seraient donc bien inspirés de prévoir des clauses d’arbitrage dans leurs contrats, à l’avenir, afin de:
- préserver les relations établies de longue date avec leurs partenaires commerciaux transfrontaliers;
- protéger leur réputation et leur bonne volonté via la confidentialité offerte par les processus d’arbitrage;
- résoudre leurs différends dans un environnement à la pointe de la technologie, qui limite toute obligation de se rendre au siège de l’arbitrage, via le recours généralisé aux audiences virtuelles;
- confier à des arbitres spécialisés, qui connaissent parfaitement le secteur créatif dans lequel le litige est né, le soin de rendre des sentences arbitrales justes, précises et impartiales.
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