
La résolution des conflits dans le monde du sport est souvent perçue comme une affaire opaque et de ‟réseau de vieux garçons”: ces préjugés sont-ils justifiés? Si tel est le cas, le TAS fait-il tout ce qu’il peut pour résoudre ces problèmes de manière adéquate et s’assurer que ses processus d’arbitrage sont équitables, inclusifs, impartiaux et indépendants? Quels sont les sujets d’actualité sur lesquels le TAS doit revoir sa position, afin de rendre des sentences arbitrales conformes à la meilleure justice possible rendue au 21ème siècle?
1. Quand et comment le CAS a-t-il été créé?
Le Tribunal Arbitral du Sport (‟TAS”) a été créé en 1984 par le Comité International Olympique (‟CIO”), lui-même créé en 1894 par Pierre de Coubertin afin de promouvoir l’olympisme comme philosophie de vie, exaltant et combinant dans un ensemble équilibré, les qualités du corps, de la volonté et de l’esprit.
Le TAS, dont le siège est à Lausanne, en Suisse, a connu plusieurs réformes, en 1990 et 1994. Notamment, à la suite d’un arrêt en date du 15 mars 1993, rendu par la Cour suprême suisse, dite Tribunal Fédéral Suisse (‟TFS”), relative à une sentence arbitrale du TAS qui avait été contestée devant le TFS. Dans son jugement de 1993, le TFS a confirmé que le TAS était un tribunal arbitral, mais a estimé qu’il n’avait pas suffisamment d’indépendance (tant sur le plan organisationnel que financier) vis-à-vis du CIO.
En conséquence, un Conseil International pour l’Arbitrage du Sport (‟ICAS”) a été créé, pour s’occuper du fonctionnement et du financement du TAS, et deux types de procédures et de divisions d’arbitrage ont été mis en place au TAS, comme suit:
- la Chambre d’Arbitrage d’Appel, qui statue sur les litiges soulevés par ou découlant d’une décision prise par les organisations sportives (telles que les procédures disciplinaires), et
- la Chambre d’Arbitrage Ordinaire, qui statue sur les autres litiges liés au sport, c’est-à-dire tout litige directement ou indirectement lié au sport, tels que les litiges commerciaux (relatifs à l’exécution des contrats, qu’il s’agisse de contrats de diffusion, de contrats de droits médiatiques, de contrats d’hébergement, de transferts de joueurs, de contrats de travail avec des entraîneurs, des joueurs et des clubs, des accords de sponsoring et des contrats avec des agents) ou des litiges relatifs à des actions en responsabilité civile et délictuelle (par exemple, en cas d’accidents entre athlètes, lors de compétitions). Il s’agit de litiges d’instance unique (c’est-à-dire que les sentences arbitrales du TAS sont définitives et ne peuvent être contestées que devant le TFS).
Depuis 1994, le Code de l’arbitrage en matière de sport (le ‟Code”) régit l’organisation et les procédures d’arbitrage du TAS. Le Code aux 70 articles est divisé en deux parties: les Statuts des organismes œuvrant pour le règlement des litiges en matière sportive (articles S1 à S26) et les Règles de procédure (articles R27 à R70).
Aujourd’hui, le Code établit des règles pour quatre divisions distinctes du TAS:
- la Chambre d’Arbitrage Ordinaire, compétente dans les procédures d’arbitrage ordinaire dans lesquelles les litiges sont liés au sport, y compris les questions financières et contractuelles connexes;
- la Chambre Arbitrale d’Appel, compétente pour connaître des appels contre les décisions rendues par une Fédération Nationale (‟FN”), une Fédération Internationale (‟FI”) ou une Association Sportive (‟AS”) ou tout autre organisme sportif, à condition que les statuts de cet organisme établi que le TAS devrait agir en tant qu’instance arbitrale finale en ce qui concerne les décisions de cet organe;
- la chambre d’arbitrage ad hoc, créée en 1996, qui opère uniquement pendant les jeux olympiques, durant lesquels le temps est compté, et qui rend en 24 heures des sentences arbitrales définitives relatives aux litiges disciplinaires (et qui a son propre règlement intérieur, intitulé ‟Règles d’arbitrage pour les jeux olympiques”), et
- la Division antidopage du TAS (‟CAS ADD”) instituée pour entendre et trancher les affaires antidopage, en tant qu’autorité de première instance ou en tant qu’instance unique, en vertu d’une délégation de pouvoirs du CIO, des Fédérations Internationales de sports sur le programme olympique (‟FI olympiques”) et tout autre signataire du Code mondial antidopage (‟World Anti-Doping Code”) (‟WADC”).
2. Pourquoi le TAS a-t-il été créé?
Le TAS a été créé pour mettre en place un système uniforme et rationalisé, à l’échelle internationale, pour résoudre les différends sportifs, via un processus d’arbitrage rapide et peu coûteux.
C’est l’instance d’arbitrage pour le sport la plus performante, avec 8.000 cas soumis au TAS depuis 1984. Parmi ces cas, 80 pour cent concernaient des litiges disciplinaires, tandis que 15 pour cent concernaient des litiges commerciaux (du fait que les acteurs commerciaux préfèrent généralement avoir une clause d’arbitrage désignant les institutions d’arbitrage traditionnelles, telles que la Chambre de commerce internationale (‟ICC”) ou la Cour d’arbitrage international de Londres (‟LCIA”), dans leurs contrats).
Le TAS a quelques concurrents, tels que les tribunaux de la FIA, mis en place par la Fédération Internationale de l’Automobile (‟FIA”) pour statuer sur les litiges internationaux du sport automobile; le ‟Basketball Arbitral Tribunal” (‟BAT”), un organisme indépendant officiellement reconnu par la Fédération Internationale de Basketball (‟FIBA”) et fournissant des services pour la résolution simple et rapide des différends entre joueurs, agents, entraîneurs et clubs par voie d’arbitrage; Qatar Sports Arbitration Foundation et Sports Resolutions. Cependant, je comprends que leurs charges de travail respectives sont vraiment moindres, par rapport au nombre d’affaires gérées par TAS.
Les litiges du TAS ne sont tranchés que par un panel d’arbitres spécialisés dans le sport, le droit du sport et les litiges liés au sport. Il y a environ 330 arbitres au TAS, sur un système de nomination de liste fermée (c’est-à-dire qu’au lieu de la pratique établie des arbitres nommés par les parties, les nominations d’arbitres sont entièrement effectuées par des institutions qui s’appuient sur des listes fermées lorsqu’elles nomment des arbitres). Seuls les arbitres figurant sur la liste fermée des arbitres publiée sur le site Internet du TAS peuvent arbitrer des affaires au TAS. Ces arbitres ont tous été nommés par le CIAS conformément à l’article S14 du Code: seuls des arbitres ‟ayant une formation juridique appropriée et une compétence reconnue en matière de droit du sport et/ou d’arbitrage international, une bonne connaissance du sport en général et une bonne maîtrise d’au moins une langue de travail du TAS” peut être désigné par ICAS. Cela garantit que seuls des arbitres experts statuent sur les affaires du TAS. Depuis sa création, le français et l’anglais sont les langues de travail du TAS, mais l’espagnol a été ajouté comme langue de travail officielle le 1er juillet 2020.
Une autre raison pour laquelle le TAS a été créé est que, pour les litiges sportifs internationaux, il est plus facile d’exécuter une sentence arbitrale, par rapport à une décision de justice, grâce à la convention de New York pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, en date du 10 juin 1958, qui compte tant d’états contractants.
En outre, l’arbitrage offre un certain degré de confidentialité de la procédure, qui ne peut être reflété par le processus judiciaire géré par les juges nationaux, qui rendent souvent des jugements très détaillés, rendus publics lors de leur publication, à l’issue d’audiences judiciaires ouvertes au public.
Les sentences arbitrales du TAS ne font pas exception, la procédure arbitrale ordinaire étant confidentielle. Au sein de la Chambre d’arbitrage ordinaire, les parties, les arbitres et le personnel du TAS sont tenus de ne divulguer aucune information liée au litige, alors qu’en principe les sentences ne sont pas publiées par cette chambre. La procédure d’arbitrage d’appel ne précise pas de règles particulières de confidentialité, mais les arbitres et le personnel du TAS ont un devoir de confidentialité similaire pendant la procédure. D’une manière générale, à moins que les parties n’en conviennent autrement, la sentence peut être publiée par la Chambre arbitrale d’appel du TAS (parfois sous une forme expurgée).
3. Quels sujets brûlants et affaires ont récemment remis en question le processus d’arbitrage du TAS et/ou terni sa réputation?
Alors que le TAS est reconnu comme une institution nécessaire pour arbitrer les différends sportifs, ses nombreux manquements à garantir une procédure équitable, inclusive, indépendante, impartiale et régulière sapent massivement son aura et son ampleur.
3.1. Manque de diversité dans la liste fermée des arbitres du TAS
Alors qu’une tendance générale s’est développée, dans la communauté de l’arbitrage, selon laquelle une plus grande diversité de genre, géographique et générationnelle est demandée dans les pools d’arbitres, le TAS a été spécifiquement ciblé pour son manque de diversité et d’inclusivité dans la liste fermée des arbitres nommés pour entendre les différends, un ancien arbitre du TAS concluant que ‟le TAS conserve les caractéristiques du plus ancien réseau du sport – le club des anciens garçons, et un ancien club de garçons suisses en plus”.
En ce qui concerne le sexe, seuls 38 des 330 arbitres uniques du TAS sont des femmes (11,5 pour cent), les femmes arbitres ne recevant que 226 nominations (4,5 pour cent) contre 4.827 nominations pour les arbitres masculins (95,5 pour cent).
Non seulement cela, mais un petit nombre d’arbitres masculins ont été nommés par le TAS dans un nombre disproportionné de procédures (plus à ce sujet ci-dessous).
En ce qui concerne l’ethnicité, les données révèlent que seulement 6,2 pour cent des nominations contrôlées par le TAS concernaient des arbitres non blancs et seulement 1 pour cent des nominations contrôlées par le TAS concernaient des arbitres noirs.
De plus, le bilan du TAS en matière de nomination d’arbitres femmes et/ou non blancs en tant qu’arbitres uniques ou présidents de panel est particulièrement médiocre: le TAS n’a nommé un(e) arbitre femme et/ou non blanc en tant qu’arbitre unique ou président de panel que dans 3,2 pour cent des cas.
La diversité des arbitres, dans la liste fermée du TAS, est donc un problème majeur, aggravé par le fait que tant d’affaires jugées par le TAS, ces dernières années, concernaient des athlètes non blancs et/ou des athlètes féminines.
Comment ces athlètes non blancs et/ou féminins peuvent-ils avoir le sentiment que les arbitres du TAS compatiront avec eux et comprendront leurs problématiques, s’il y a 96 pour cent de chances que le ou les arbitres qui statuent sur leur cas soient ‟pâles, masculins et rassis”?
En réponse à cette critique, et afin de répondre à plusieurs jugements du TFS qui ont confirmé que, bien que le TAS soit suffisamment indépendant, il y avait des difficultés à fonctionner avec une liste fermée d’arbitres, le CIAS a nommé un certain nombre de nouveaux arbitres du TAS, ce qui a augmenté le nombre d’arbitres sur la liste fermée à près de 400 personnes.
3.2. La position du TAS sur le genre et l’égalité, ainsi que sur l’uniformité des réglementations sportives, est intenable
Plusieurs cas d’arbitrage ont mis en évidence un fossé croissant entre la ‟politique de genre” du TAS et la réalité pragmatique, ‟dans la vraie vie”, qui est que de plus en plus d’athlètes sont nés naturellement comme, ou ont choisi de devenir, des êtres humains au genre fluide.
Le 24 juillet 2015, le TAS a rendu sa sentence en appel dans le différend Dutee Chand contre la Fédération indienne d’athlétisme (‟Athletics Federation of India”) (‟AFI”) et l’Association internationale des fédérations d’athlétisme (‟International Association of Athletics Federations”) (‟IAAF”).
Mme Chand était alors une athlète féminine d’athlétisme de 19 ans de nationalité indienne, qui a remporté un certain nombre d’épreuves nationales juniors d’athlétisme en Inde, ainsi que des médailles d’or au sprint féminin de 200 mètres et au relais 4 x 400 mètres féminin de sprint aux Championnats d’Asie juniors d’athlétisme à Taipei en mai 2014.
Quelques jours avant que Mme Chand ne quitte l’Inde pour prendre part aux Championnats du monde juniors d’athlétisme, prétendument en conformité avec le Règlement de l’IAAF régissant l’admissibilité des femmes atteintes d’hyperandrogénie à participer à des compétitions féminines (le ‟Règlement sur l’hyperandrogénie”), elle a été soumise à diverses examens médicaux par la ‟Sports Authority of India” (‟SAI”), un organisme gouvernemental indien. Par la suite, Mme Chand a été informée par un médecin SAI qu’elle ne serait pas autorisée à participer aux prochains championnats du monde juniors et qu’elle ne serait pas éligible pour la sélection pour les Jeux du Commonwealth, parce que ses niveaux d’‟hormones mâles” (c’est-à-dire les androgènes) étaient trop élevés (c’est-à-dire qu’elle a reçu un diagnostic d’hyperandrogénie). SAI a publié un communiqué de presse indiquant que ‟SAI avait effectué ce test conformément aux réglementations établies par des organisations sportives internationales, telles que l’IAAF et le CIO, régissant l’éligibilité des femmes atteintes d’hyperandrogénie. Ce test ne détermine pas le sexe de l’athlète. (…) Nous essayons simplement de savoir si l’athlète a un excès d’androgènes dans son corps. Si les résultats du test indiquent qu’elle n’est pas éligible pour participer à la compétition féminine, cela indique qu’elle a un excès d’androgènes par rapport à ce qui est spécifié par la commission médicale de l’IAAF, ou par le conseil médical qui a aidé à créer la ‟procédure opératoire standard” pour identifier les circonstances (hyperandrogénie féminine) dans laquelle un sportif particulier ne sera pas éligible pour participer à la catégorie féminine en Inde. Oui, nous avons effectué un tel test. (…) L’athlète pourra toujours concourir dans la catégorie féminine à l’avenir si elle reçoit une aide médicale appropriée et abaisse son taux d’androgènes à la plage spécifiée”. Cette décision de suspension pour hyperandrogénie a été notifiée par l’AFI à Mme Chand le 31 août 2014, par courrier. Elle a ensuite fait appel de la suspension devant le TAS le 26 septembre 2014.
Dans sa déclaration d’appel, Mme Chand a demandé au TAS i) de déclarer le Règlement sur l’hyperandrogénie invalide et non avenu, et ii) d’annuler la lettre de suspension et de la déclarer éligible à concourir.
Bien qu’il existe des preuves scientifiques que les niveaux normaux de testostérone, chez un être humain mâle, se situent entre 10 et 35 nanomoles par litre (‟nmol/L”), et, chez un être humain femelle, de 0,5 à 2,4 nmol/L, et que les niveaux de testostérone peut être le ‟meilleur facteur discriminant entre les performances masculines et féminines dans le sport”, le TAS a décidé d’accorder à Mme Chand ses demandes susmentionnées, indépendamment du fait que le test de Mme Chand sur son niveau de testostérone a révélé que ce niveau était supérieur au seuil de 10 nmol/L en raison de son état d’hyperandrogénie. Le panel d’arbitrage a suspendu le Règlement sur l’hyperandrogénie pour une période de deux ans, au cours de laquelle l’IAAF peut soumettre des preuves supplémentaires au TAS concernant l’ampleur de l’avantage de performance dont les femmes hyperandrogènes peuvent bénéficier, par rapport aux autres femmes, en raison de leurs niveaux anormalement élevés d’androgènes. Si aucune preuve de ce genre n’était déposée par l’IAAF au cours de ces deux années, le Règlement sur l’hyperandrogénie serait déclaré nul. Dans l’intervalle, Mme Chand a été autorisée à participer à des événements d’athlétisme de niveau national et international.
Pour justifier sa sentence arbitrale provisoire, les arbitres du TAS ont décidé que le Règlement sur l’hyperandrogénie était discriminatoire, car non seulement il exigeait que les athlètes féminines subissent des tests pour déterminer les niveaux de testostérone endogène alors que les athlètes masculins ne le faisaient pas, mais il imposait également des restrictions à l’éligibilité de certaines athlètes féminines à concourir sur la base d’une caractéristique physique naturelle (à savoir, la quantité de testostérone que leur corps produit naturellement). Par conséquent, l’IAAF devait établir que le Règlement sur l’hyperandrogénie était nécessaire, raisonnable et proportionné aux fins d’établir des règles du jeu équitables pour les athlètes féminines. Alors que le panel d’arbitrage a conclu qu’il y avait une base scientifique dans l’utilisation de la testostérone en tant que marqueur, aux fins du Règlement sur l’hyperandrogénie, il a décidé que l’IAAF ne s’était pas acquittée de sa charge d’établir que ce Règlement sur l’hyperandrogénie était justifié comme étant nécessaire et proportionné, afin de poursuivre l’objectif légitime d’organisation d’athlétisme féminin de compétition pour assurer l’équité de la compétition sportive, notamment parce que l’IAAF n’a pas démontré de corrélation entre un taux de testostérone supérieur au seuil de 10 nmol/L chez les femmes, et un réel avantage compétitif qui interfère avec une concurrence loyale au sein de la catégorie féminine.
La deuxième sentence arbitrale du TAS, relatif aux Différences de Développement Sexuel (‟Differences of Sexual Development”) (‟DSD”) chez les athlètes féminines d’athlétisme, est Caster Semenya & Athletics South Africa (‟ASA”) contre IAAF en date du 30 avril 2019.
Le même panel d’arbitrage du TAS que dans l’affaire Dutee Chand a rejeté la demande de Mme Semenya de déclarer le Règlement d’Éligibilité de l’IAAF pour la Classification Féminine (Athlètes présentant des Différences de Développement Sexuel), qui est entré en vigueur le 1er novembre 2018 (le ‟Règlement DSD”), illégal. Tirant parti de la précédente jurisprudence Dutee Chand, les co-demandeurs sont allé droit au but, affirmant que le Réglement DSD:
- était discriminatoire à l’encontre des athlètes sur la base du sexe et/ou du genre parce qu’il ne s’appliquait qu’aux (i) athlètes féminines et (ii) aux athlètes féminines présentant certains traits physiologiques;
- manquait d’une base scientifique solide;
- n’était pas nécessaire pour assurer une concurrence loyale au sein du classement féminin;
- était susceptible de causer un préjudice grave, injustifié et irréparable aux athlètes féminines concernées;
- était illégal et devait être empêché d’être mis en vigueur au motif qu’il était injustement discriminatoire, arbitraire et disproportionné, et donc
- a violé la constitution de l’IAAF, la Charte olympique, les lois de Monaco (où l’IAAF est basée), les lois des juridictions dans lesquelles se déroulent les compétitions internationales d’athlétisme, ainsi que les droits humains fondamentaux universellement reconnus.
Cependant, le TAS a constaté que le Règlement DSD, qui établit de nouvelles exigences obligatoires régissant l’éligibilité des femmes ayant des DSD et des niveaux de testostérone endogène supérieurs à 5 nmol/L, pour participer au classement féminin dans huit épreuves lors de compétitions internationales d’athlétisme (c’est-à-dire le 400 m, 800 m et 1.500 m, auxquelles Mme Semenya participait régulièrement et détenait déjà plusieurs médailles en tant que gagnante en première place) étaient discriminatoires mais constituaient des moyens nécessaires, raisonnables et proportionnés pour atteindre l’objectif légitime d’une concurrence loyale dans la catégorie féminine de l’athlétisme de compétition d’élite. En particulier, le TAS était d’avis que de nouvelles preuves (non encore disponibles lors du jugement de l’affaire Chand, quatre ans auparavant), fournies par l’IAAF, étayaient clairement la proposition de l’IAAF selon laquelle les femmes sensibles aux androgènes avec des niveaux élevés de testostérone bénéficient d’un avantage de performance significatif par rapport à autres athlètes féminines. En outre, le panel d’arbitres a estimé qu’il n’était pas en soi disproportionné d’exiger des athlètes DSD qu’elles prennent des contraceptifs oraux pour réduire la testostérone afin de concourir dans la catégorie féminine dans les événements restreints susmentionnés.
Cette sentence arbitrale de 2019 a déclenché une avalanche de critiques, contre le TAS, et Caster Semenya a interjeté appel auprès du TFS pour faire annuler cette sentence. Cet appel ayant été rejeté par le TFS, Mme Semenya a déposé une requête Semenya c. Suisse le 18 février 2021, auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (‟CEDH”), qui est toujours pendante.
L’effet pervers de la sentence du TAS de 2019 est que les athlètes féminines atteintes de DSD et/ou les athlètes transexuels qui s’identifient comme des femmes doivent se doper en prenant des médicaments qui abaissent leur taux de testostérone endogène en dessous de 5 nmol/L, pendant de longues périodes de temps avant les courses, afin de participer au classement féminin des huit épreuves restreintes lors de compétitions internationales d’athlétisme (c’est-à-dire les courses de 400m, 800m et 1.500m).
3.3. Absence de procédure régulière dans l’affaire Pechstein
Il y a plus de 13 ans, la patineuse de vitesse Claudia Pechstein a eu un échantillon de sang anormal, qu’elle a dû donner dans le cadre d’un contrôle antidopage. Elle a ensuite été interdite de compétition le 1er juillet 2009 par l’‟International Skating Union” (‟ISU”) basée à Lausanne pour violation des règles antidopage, pour une durée de deux ans. Le TAS a confirmé cette interdiction dans sa sentence arbitrale rendue le 25 novembre 2009. Selon le règlement du TAS en vigueur à l’époque, Mme Pechstein n’avait pas droit à une audience publique et une demande correspondante d’audience publique ne lui a pas été accordée. Mme Pechstein a également perdu, en appel, devant le TFS le 10 février 2010.
Pendant ce temps, il a été découvert que l’échantillon de sang litigieux n’avait été visible qu’en raison d’une anomalie sanguine d’origine génétique.
Mme Pechstein a fait appel de l’arrêt du TFS devant la CEDH, devant laquelle elle a partiellement prévalu dans la décision MUTU & Pechstein c. Suisse du 2 octobre 2018. En particulier, la CEDH a estimé que le refus du TAS d’accorder une audience publique à Mme Peschtein constituait une violation de l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme, relatif à l’indépendance et à l’impartialité des cours et tribunaux. La CEDH a estimé que l’impartialité et l’indépendance du TAS étaient sérieusement mises en cause dans cette affaire et que Mme Pechstein pouvait obtenir un succès partiel et recevoir des dommages-intérêts d’un montant de 8 000 euros. La CEDH a également constaté une violation du principe de publicité par les règles du TAS en vigueur au moment de la procédure, sous la forme d’un défaut de droit à une audience publique.
Après l’arrêt de la CEDH, le TAS a noté qu’il aurait dû autoriser une audience publique puisque Mme Pechstein en avait demandé une et qu’il n’y avait aucune raison particulière de la lui refuser. De plus, les règles du TAS ont été modifiées afin que, en principe, une procédure publique peut être demandée. Toutefois, cette demande peut être refusée pour diverses raisons prévues par le présent règlement (telles que la morale, l’ordre public, la sécurité nationale).
Si les panels d’arbitrage du TAS devaient refuser d’accorder le droit à une audience publique, à l’avenir, ils feraient mieux de s’en expliquer très longuement, dans leurs sentences, pour les justifier en invoquant l’une des exceptions à la publicité.
3.4. Absence d’impartialité des arbitres de la liste fermée du TAS
Comme mentionné ci-dessus dans notre point sur le manque de diversité dans la liste fermée des arbitres du TAS, certains arbitres masculins blancs ont été nommés dans un nombre disproportionné d’arbitrages du TAS (c’est-à-dire que 14 hommes ont été nommés plus de 100 fois).
Cette question, qui touche à la fois au manque de diversité et au manque d’impartialité des arbitres du TAS, a été mise en évidence dans un arrêt du TFS en date du 4 mars 2022.
La sentence du TAS contestée devant le TFS concernait une interdiction à vie de participer à des activités liées au football et une amende de 1.000.000 CHF infligées par la Fédération Internationale de Football Association (‟FIFA”) à un ancien officiel de football (anonyme) en relation avec le scandale du ‟FIFA-gate” (l’‟Appelant”). L’Appelant avait d’abord contesté les deux sanctions devant le TAS, qui a par la suite réduit l’interdiction à vingt ans mais a maintenu l’amende. L’Appelant a alors déposé une requête en annulation de la sentence fondée, entre autres, sur le motif que la formation arbitrale du TAS avait été ‟irrégulièrement constituée” au sens de l’article 190(2) de la loi suisse sur le droit international privé car son président manquait d’indépendance et d’impartialité.
Mark Hovell, le président du panel d’arbitres du TAS, avait initialement révélé le fait qu’il présidait simultanément une autre affaire impliquant la FIFA. L’Appelant a demandé des informations supplémentaires, qui ont finalement été fournies le 16 octobre 2020. Ces informations ont révélé que le président avait été impliqué dans pas moins de dix arbitrages supplémentaires en cours impliquant la FIFA, dont deux dans lesquels il avait été nommé par la FIFA elle-même. Elles ont en outre révélé qu’un collègue du cabinet d’avocats du président, Mills & Reeve, avait récemment conseillé la FIFA sur une question liée au RGPD.
Le TFS a estimé que si la pratique de M. Hovell de ne pas divulguer trois nominations en trois ans est inappropriée et contraire aux exigences de l’obligation de divulgation, rien n’indique qu’une telle pratique résultait d’une tentative délibérée de l’arbitre de dissimuler certaines informations des parties. Le TFS a ajouté que, si la non-divulgation du président pouvait soulever quelques ‟questions”, ‟l’arbitrage sportif institué par le TAS a des particularités, comme la liste fermée des arbitres”. La FIFA ayant participé à plus de 400 arbitrages du TAS au cours de la période pertinente, ces ‟questions” ne soulevaient pas de doutes légitimes quant à l’impartialité et l’indépendance en l’absence de ‟circonstances corroborantes”, selon le TFS.
Cet arrêt du TFS étant très controversé, reconnaissant aux arbitres du TAS une obligation d’information mais accordant un laissez-passer à M. Hovell malgré le manquement manifeste à l’obligation d’information de cet arbitre, il reste à savoir si l’Appelant se tournera vers la CEDH pour réévaluer le manque d’impartialité et d’indépendance de M. Hovell.
A défaut, et compte tenu de la fréquence des contestations en arbitrage sportif, ce n’est qu’une question de temps avant de savoir comment le TFS examinerait une nouvelle affaire impliquant un manquement plus convaincant au devoir d’information, de la part d’un arbitre du TAS.
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