
Pourquoi les producteurs de phonogramme, les artistes-interprètes et les fournisseurs de services numériques ont tout à gagner à la recherche d’un consensus sur les droits voisins à l’ère numérique.
Comme nous l’avions détaillé dans notre précédent article sur notre point de vue sur le MIDEM 2015, les revenus numériques de l’industrie de la musique ont augmenté de 6,9 pour cent à USD6,9 milliards en 2014 et sont maintenant au même niveau que ceux du secteur physique.
En effet, globalement, tout comme les ventes de format physique, les revenus numériques – qui couvrent les recettes provenant tant des téléchargements numériques que du streaming – comptent aujourd’hui pour 46 pour cent de la totalité des revenus de l’industrie musicale. Dans 4 des 10 marchés les plus importants au monde, les canaux numériques (streaming et téléchargements) comptent pour la majorité des revenus (soit 71 pour cent du revenu total de l’industrie musicale en 2014 aux Etats-Unis; 58 pour cent du revenu total de cette industrie en 2014 en Corée du Sud; 56 pour cent du revenu total de cette industrie en 2014 en Australie et 45 pour cent du revenu total de cette industrie en 2014 au Royaume-Uni).
En particulier, le streaming monte en puissance, avec les services d’abonnement musical numérique – y-compris ‟free-to-consumer” et ‟paid-for-tiers” – croissant de 39 pour cent en 2014, alors que les recettes issues du téléchargement ont décliné de 8 pour cent mais restent néanmoins une source majeure de revenus étant donné qu’elles représentent toujours plus de la moitié des revenus générés par le numérique (52 pour cent).
Les marques globales fournissant des services d’abonnement de streaming musical, appelées ici les ‟fournisseurs de services numériques” (‟FSNs”), telles que Deezer et Spotify, continuent à engranger les bénéfices de leur expansion géographique. Il y a eu des nouveaux entrants notables dans le domaine du streaming: YouTube a lancé son service d’abonnement Music Key à la fin 2014, alors qu’Apple a lancé son propre service de streaming en juillet 2015 après son acquisition pour USD3 milliards de Beats, et Jay Z et d’autres artistes réputés ont re-lancé Tidal, le service de streaming géré par eux-mêmes, en début d’année.
Les revenus d’abonnement du streaming compensent, de manière prévisible, les recettes en déclin des téléchargements et boostent les revenus globaux du numérique, poussant l’abonnement au coeur du portefeuille commercial de l’industrie de la musique, représentant 23 pour cent du marché numérique et générant USD1,6 milliards en revenus commerciaux.
L’analyste de l’industrie musicale Mark Mulligan prévoit que le streaming et les abonnements vont augmenter de 238 pour cent depuis leur niveau de 2013, pour atteindre USD8 milliards en 2019, avec les revenus du téléchargement déclinant de 39 pour cent. Il conclut que le streaming et les abonnements vont représenter 70 pour cent de tous les revenus numériques à partir de 2019.
Alors que cette évolution vers plus de streaming musical est très appréciée par les consommateurs finaux (qui ne veut pas avoir l’option de sélectionner et potentiellement écouter des millions de morceaux, partout dans le monde, sur un appareil pas plus gros que la taille d’une poche de jean?), de nouveaux enjeux juridiques et commerciaux ont donc vu jour.
En particulier, les titulaires de droits de contenu musical (c’est à dire les titulaires de droits dans la composition musicale – en général, les auteurs-compositeurs et les éditeurs musicaux ou des organisations de licence collective – d’un côté, et les titulaires de droits dans le phonogramme de cette composition – en général, les labels musicaux, les artistes-interprètes et les musiciens-accompagnateurs ainsi que les vocalistes – de l’autre côté) se demandent fréquemment comment ils vont bénéficier financièrement de cette augmentation de la consommation et des recettes du streaming. Comment vont-ils être payé?
En outre, de plus en plus de fournisseurs de services numériques veulent savoir comment accéder du contenu musical de haute-qualité et obtenir le droit de diffuser en streaming les catalogues musicaux les plus vastes possibles, sur leurs plateformes, à un prix raisonnable. Etant donné qu’augmenter en taille (‟scaling up”) est la clé du succès pour toute société technologique, les FSNs veulent aussi avoir le droit de diffuser en streaming ce contenu musical partout dans le monde.
Enfin, alors même que l’augmentation de la consommation et des recettes de la musique en numérique est en train de devenir une évidence factuelle, certaines catégories de flux de revenus se développent et prennent un rôle plus prépondérant. Par exemple, les ‟sound recording performance rights” (droits de diffusion sur les phonogrammes en français ou ‟droits voisins”) sont une source de revenu global en pleine émergence pour les artistes-interprètes et les labels de musique. Alors que les recettes de musique enregistrée sur des produits physiques ont baissé de 66 pour cent depuis leur pic en 1999, les revenus totaux provenant des droits voisins ont augmenté en flèche, atteignant 2,034 milliards d’Euros globalement en 2013.
Les droits musicaux représentent à peu près 90 pour cent des redevances collectées en relation avec les droits voisins. Les droits audiovisuels sont évalués à à peu près 200 millions d’Euros, bénéficiant essentiellement aux acteurs, alors que le reste de ces redevances (à peu près 1,834 milliards d’Euros) est relatif aux droits voisins musicaux. Ou vont ces droits voisins musicaux? Comment sont-ils collectés puis distribués?
Cet article se focalise sur comment les deals sont exécutés avec les fournisseurs de services numériques, dans le domaine du streaming musical, en relation avec les droits de diffusion de phonogramme (‟sound recording performance rights”). Nous étudierons, dans un futur article, les caractéristiques des licences de droits mécaniques et de droits de performance pour les titulaires de droits dans la composition musicale, à l’ère du numérique. Ici, nous ciblons seulement les droits voisins et la situation des titulaires de droits dans le phonogramme d’une composition musicale – en général, le label de musique, l’artiste-interprète et les musiciens accompagnateurs et vocalistes.
1. Se familiariser avec les droits voisins à l’ère numérique
Les droits voisins ont été consacré par le droit, étape par étape, afin de faire en sorte que les personnes qui sont ‟auxiliaires” à la création et/ou production de contenu (les artistes, les interprètes, les acteurs, les producteurs de phonogrammes, les producteurs de films, les musiciens-accompagnateurs et les vocalistes, etc) puissent avoir plus de contrôle sur leurs efforts créatifs.
Il n’y a pas qu’une seule définition de droits voisins; ces derniers variant beaucoup plus dans leur étendue, de pays à pays, que les droits d’auteur.
Toutefois, les droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogramme et des organisations de diffusion sont couverts par les droits voisins, et sont protégés internationalement par la Convention de Rome pour la protection des artistes-interprètes, producteurs de phonogramme et organismes de diffusion, signée en 1961 (la ‟Convention de Rome”).
A part la Convention de Rome, un autre traité international est relatif à la protection des droits voisins dans le secteur musical: le traité des représentations et phonogrammes de l’OMPI, signé en 1996 (‟WPPT”).
Au niveau de l’Union Européenne, trois directives ont été instrumentales pour développer un cadre juridique harmonisé relatif aux droits voisins: la directive du 27 septembre 1993, relative à la coordination de certaines règles sur les droits d’auteur et les droits voisins applicables à la diffusion par satellite; la directive du 29 octobre 1993 – remplacée par la directive n. 2006/116/CE du 12 décembre 2006 – sur la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins; la directive n. 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certain aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.
Comme mentionné ci-dessus, les droits de diffusion de phonogramme représentent la majorité des droits voisins qui sont collectés de par le monde, et ils sont une source croissante de revenus globaux pour les artistes-interprètes et les labels de musique.
Par exemple, aux Etats-Unis, SoundExchange, l’organisation responsable pour la collecte et distribution des redevances de diffusion des phonogrammes, a distribué USD590 millions en 2013, une augmentation très importante comparé aux USD3 millions que cette organisation avait distribué en 2003. Dans la décennie depuis la création de SoundExchange, l’organisation a généré USD2 milliards en redevances pour les artistes et les producteurs de phonogrammes.
Sur un total de 2,034 milliards d’Euros de droits voisins collectés en 2013, 48,9 pour cent proviennent d’Europe (1,101 milliards d’Euros), 30 pour cent d’Amérique du Nord (681 millions d’Euros), 11,9 pour cent d’Amérique du Sud (268 millions d’Euros) et 8,6 pour cent d’Australasie (192 millions d’Euros).
Avec une part de 28 pour cent dans les redevances mondiales, les Etats-Unis est le marché majeur pour les droits voisins, bien que la collecte de ces droits soit limitée à la diffusion publique de phonogrammes sur des médiums numériques uniquement (tels que la radio en ligne comme Pandora, la diffusion par satellite comme Sirius/XM et aussi le streaming en ligne de transmission de radio terrestre comme iHeartRadio). A la différence de ce qui se passe dans le reste du monde, les Etats-Unis n’appliquent pas de droits de diffusion de phonogrammes à la radio diffusée sur les ondes, la radio terrestre, la diffusion dans les bars, restaurants et autres lieux publics.
Le marché des droits voisins est surtout concentré dans 10 pays, qui contrôlent 82 pour cent des redevances mondiales, avec une large concentration en Europe. A part les Etats-Unis, le Royaume Uni (12 pour cent), la France (11 pour cent), le Japon (7 pour cent), le Brésil (7 pour cent), l’Allemagne (7 pour cent), l’Argentine (3 pour cent), les Pays-Bas (3 pour cent), le Canada (2 pour cent) et la Norvège (2 pour cent), sont les 10 premiers marchés au monde. En dehors des Etats-Unis, les phonogrammes bénéficient de larges droits de performance pour la diffusion (y compris sur la radio terrestre), la représentation publique et ce que l’on appelle la communication au public.
Globalement, les droits de diffusion sur les phonogrammes sont administrés par les sociétés de licenses musicales ou les sociétés collectives. Ces organisations sont responsables de la négociation des taux et dispositions contractuelles avec les utilisateurs de phonogrammes (par exemple, les sociétés de diffusion, les établissements publics , les fournisseurs de services numériques), de la collecte des redevances et de la distribution de ces redevances aux artistes-interprètes et producteurs de phonogrammes.
Il y a à peu prés 60 société de collecte de part le monde qui se focalisent sur les redevances de diffusion des phonogrammes.
2. Sociétés collectives et droits voisins: le futur est radieux pour les titulaires de droits
2.1. Comment les droits voisins sont-il protégés et collectés territoire par territoire?
Alors qu’il pourrait paraître que les droits voisins sont protégés et rémunérés de façon très homogène de part le monde, grâce à un cadre juridique international et européen bien structuré, il s’avère que ces droits voisins et les pratiques commerciales des sociétés de collecte sont très différents et varient de territoire à territoire.
Chacune des 60 sociétés collectives opère sur un territoire qui reconnaît les représentations et diffusions de manière différente et a une pratique commerciale spécifique.
Par exemple, aux Etats-Unis, le ‟US copyright act” fournit aux titulaires de phonogrammes un droit exclusif de ‟diffuser l‘oeuvre protégée par le ‟copyright” publiquement au moyen d’une diffusion audio numérique”. Ce droit est limité par une licence légale pour les ‟diffusions audio numériques non-interactives”. Les services qui respectent la licence légale peuvent diffuser en streaming les phonogrammes sans la permission du titulaire du copyright, à condition seulement qu’ils fournissent des données et des redevances à SoundExchange. Le ‟US copyright act” précise comment SoundExchange divise et distribue le redevances: 50 pour cent va au titulaire de droits sur le phonogramme; 45 pour cent est distribué à l’artiste-interprète; et 5 pour cent est envoyé à un administrateur indépendant qui distribue ensuite ces redevances aux musiciens-accompagnateurs et aux vocalistes.
Au Royaume-Uni, le ‟UK copyright, designs and patents act” (‟UK act”) fournit aux titulaires de droits sur les phonogrammes des droits de diffusion exclusifs dans leurs phonogrammes. En outre, le ‟UK act” donne aux artistes-interprètes sur ces phonogrammes un droit à une ‟rémunération équitable” pour une portion des redevances de licence pour l’utilisation des phonogrammes. Ainsi, quand un phonogramme est diffusé au Royaume-Uni, les artistes-interprètes de ces phonogrammes ont un droit à l’encontre du producteur (c’est à dire le label de musique) du phonogramme, en pouvant prétendre à une portion des redevances du producteur provenant de cette diffusion. D’un point de vue juridique, cela est très différent du régime de la licence légale aux Etats-Unis où la part de l’artiste-interprète est due par l’utilisateur du phonogramme, non par le label de musique. Comme mentionné ci-dessus, le Royaume-Uni est le deuxième marché au monde pour les droits voisins. Selon les résultats financiers pour 2014 de la société de collecte anglaise PPL, elle a collecté un total de GBP187,1 millions de redevances de licence (provenant de sources de revenus de la diffusion, du numérique, de la représentation publique et de l’international).
En Allemagne, la loi sur le droit d’auteur et les droits voisins (la ‟Loi allemande”) fournit elle-aussi aux artistes-interprètes et aux producteurs des droits à la rémunération pour la diffusion des phonogrammes. Alors que cette Loi allemande fournit aux artistes-interprètes un droit à la rémunération équitable pour la diffusion et la communication au public de leurs phonogrammes, elle alloue aux producteurs une portion des redevances de l’artiste-interprète provenant de la licence de droits de diffusion et de communication au public. Ainsi, les revenus du producteur provenant de cette activité sont prélevés auprès de l’artiste-interprète, et non auprès de l’utilisateur de phonogrammes. C’est exactement l’opposé du régime anglais et cela n’a rien à voir avec le système américain.
En France, le Code de la propriété intellectuelle fournit aussi aux titulaires de droits sur les phonogrammes des droits exclusifs de diffusion sur leurs phonogrammes, par le biais d’une licence légale. Comme aux Etats-Unis, les FSNs qui respectent la licence légale peuvent diffuser en streaming les phonogrammes sans la permission des titulaires de droits, à condition de fournir des données et des redevances à la SCPP (si le producteur de phonogramme est une major), SPPF (si le producteur de phonogramme est un label indépendant), l’ADAMI (pour les artistes-interprètes) et la SPEDIDAM (pour les musiciens-accompagnateurs et les vocalistes). Le Code de la propriété intellectuelle prévoit que 50 pour cent des redevances va au titulaire de droits sur le phonogramme, alors que l’autre 50 pour cent vont aux artistes-interprètes et aux musiciens-accompagnateurs et vocalistes.
2.2. Comment les droits voisins sont-ils protégés et collectés sur une base transfrontalière?
Une des questions récurrentes que les artistes et les labels se posent est comment ils sont protégés d’un territoire à l’autre. En effet, la musique est un business global, surtout à l’ère du numérique: les artistes qui ont du succès sur un territoire ont souvent du succès aussi dans d’autres.
Un succès global suppose que les phonogrammes des artistes vont être diffusés publiquement dans d’autres territoires que ceux où ils résident. Comment, dans ce cas, les artistes-interprètes et les producteurs peuvent-ils collecter les redevances de diffusion de phonogrammes sur des territoires où ils ne sont pas résidents et dans lesquels ils pourraient ne pas avoir conclus d’accord avec les sociétés appropriées?
Les réponses sont complexes et dérivent de l’application des dispositions de la Convention de Rome et du WPPT susmentionnés.
L’article 2 de la Convention de Rome détaille le niveau de protection qu’il accorde aux résidents des états-contractants sur les territoires des autres états-contractants. En pratique, les états-contractants doivent aux résidents des autres territoires le même degré de protection qu’ils reconnaissent à leurs propres résidents. Ce concept de ‟Traitement National” est essentiel dans les traités internationaux sur le droit d’auteur et fonctionne de manière à assurer que les membres ne discriminent injustement les résidents d’autres états-contractants.
Les articles 4 et 5 de la Convention de Rome spécifient que les phonogrammes faits par les résidents des états-contractants, d’abord enregistrés dans les états-contractants, ou publiés d’abord dans les états-contractants, sont éligibles au Traitement National. De manière similaire, la représentation d’un artiste-interprète recevra le Traitement National si elle a été faite dans un état-contractant, incorporée dans un phonogramme protégé, ou si non-enregistrée, diffusée dans un état-contractant.
L’article 12 de la Convention de Rome prévoit la rémunération équitable pour les artistes-interprètes, producteurs (ou les deux) pour les utilisations secondaires de leurs phonogrammes (par exemple, la diffusion, la communication au public). Les Etats-Unis ne sont pas signataires de la Convention de Rome parce que, en 1961, ce pays ne reconnaissaient pas le phonogramme comme étant l’objet de droits d’auteur (c’est en 1995 seulement que les phonogrammes ont reçu un droit de diffusion publique limité au numérique aux Etats-Unis).
L’article 4 du WPPT prévoient les conditions pour le traitement national prévu par ce traité. Les parties-contractantes doivent fournir aux résidents d’autres états-membres le même niveau de protection que celui accordé à leurs propres citoyens. L’article 3 du WPPT importe les critères de qualification des artistes-interprètes et des producteurs de la Convention de Rome (articles 4 et 5). Ainsi, les artistes-interprètes et les producteurs qui sont éligibles au Traitement National au titre des articles 4 et 5 de la Convention de Rome sont éligibles au Traitement National en application de l’article 3 du WPPT, comme si tous les membres du WPPT étaient des membres de la Convention de Rome. Cela assure que l’éligibilité des artistes-interprètes et des producteurs américains est analysée de la même manière, même si les Etats-Unis n’est pas signataire de la Convention de Rome.
L’article 15 du WPPT détaille le droit à la rémunération équitable des artistes-interprètes et des producteurs et suit majoritairement les dispositions de l’article 12 de la Convention de Rome. Une partie-contractante peut reconnaître un droit à la rémunération équitable pour les utilisations secondaires de phonogrammes (par exemple, la diffusion, la communication au public) pour les artistes-interprètes, les producteurs, ou les deux, ou peut choisir de ne pas reconnaître ce droit du tout. Les parties-contractantes peuvent choisir de limiter leur application des dispositions de l’article 15 en déposant une notification détaillant le champs de cette limitation. De telles notifications peuvent avoir des implications sur le niveau de traitement national que les états-membres doivent aux résidents de chacun d’entres eux en application de l’article 4.
L’article 4 du WPPT requiert que les parties-contractantes fournissent un traitement national complet aux résidents des autres états-membres. Toutefois, l’article 4(2) dispose que les parties-contractantes peuvent limiter le champ du traitement national dans la mesure où une autre partie-contractante a fait une réservation au titre de l’article 15. Par exemple, parce que les Etats-Unis ne reconnaissent pas le droit de diffusion terrestre pour leurs propres citoyens ou ceux de tout autre pays, la plupart des membres du WPPT choisissent de ne pas allouer de droits de diffusion terrestres aux citoyens américains, même si ceux-ci sont reconnus pour leurs propres citoyens. Ce concept de traitement ‟égal-à-égal” est souvent appelé ‟réciprocité” et est distinct du ‟traitement national”.
Quand on cherche à maximiser le montant des redevances collectées pour les artistes-interprètes et les labels de musique à l’étranger, ces concepts de ‟traitement national” et ‟réciprocité” prennent toute leur ampleur et doivent être gardés à l’esprit. Comprendre ce qui sera susceptible d’un traitement national complet et ce qui fera l’objet d’une réciprocité limitée peut avoir un impact sur le montant des redevances de droits voisins réalisées par un artiste ou un label.
Par exemple, un artiste-interprète américain qui enregistre en Europe serait qualifié pour percevoir des redevances d’artistes-interprètes (ou un artiste-interprète européen enregistrant un phonogramme aux Etats-Unis).
L’éligibilité à la perception de redevances est souvent une analyse factuelle, au cas-par-cas, ciblée sur la nationalité des artistes-interprètes et des producteurs, où les enregistrements ont eu lieu, et où ils ont été tout d’abord édités. Savoir ces faits importants est crucial pour s’assurer que les artistes et les labels reçoivent ce à quoi ils ont droit.
Les sociétés de collecte jouent un rôle important ici: non seulement elles collectent les redevances auprès des utilisateurs sur leurs propres territoires et distribuent celles-ci à leurs destinataires nationaux, mais elles agissent aussi souvent pour le compte de leurs membres, artistes-interprètes et labels, pour collecter les redevances non-distribuées à l’étranger.
En particulier, PPL au Royaume-Uni, et SAMI, en Suède, ont une part de redevances internationales supérieure à 20 pour cent dans leur montant respectif total de redevances collectées. Cela s’explique par le fait que tant la musique anglaise que celle suédoise s’exportent extrèmement bien partout dans le monde. En conséquence, PPL a identifié les revenus internationaux comme une source de croissance importante et a mis en place une politique très dynamique de collecte des redevances à l’étranger, signant des douzaines d’accords de réciprocité avec des sociétés collectives soeurs.
3. Les titulaires de phonogrammes et les fournisseurs de services numériques: comment conclure la transaction de streaming?
Dans son dernier rapport sur les droits voisins à l’ère du numérique, la société de collecte française ADAMI a souligné que le marché mondial des droits voisins dans la gestion collective devrait croître de manière exponentielle dans les prochaines années.
Toutefois, le rapport note que la part des redevances de droits de diffusion de phonogrammes attribuée au numérique est toujours assez basse, à part aux Etats-Unis où les droits voisins en gestion collective découlent uniquement de sources numériques (c’est à dire le streaming). Alors que de plus en plus de consommateurs utilisent le streaming – à la différence du téléchargement musical et des formats physiques -, l’ADAMI prévoit que la part des redevances de droits de diffusion publique de phonogrammes dérivée du streaming deviendra une portion essentielle des revenus payés aux artistes-interprètes et aux producteurs.
Pour le moment, la plupart des redevances de droits de diffusion publique des phonogrammes collectées par les sociétés de gestion collective découlent de la rémunération équitable, qui est en partie liée aux revenus publicitaires de la radio et TV commerciales.
Les fournisseurs de services numériques se font souvent critiqués par les artistes-interprètes et les producteurs de labels indépendants, concernant la faible portion de redevances de droits de diffusion publique des phonogrammes que ces artistes perçoivent.
En particulier, des superstars tels que Taylor Swift et Radiohead ont quitté Spotify avec fracas, en 2014 et 2013 respectivement, se plaignant de ce que les consommateurs finaux ne payaient pas assez pour avoir accès à leurs catalogues sur Spotify. Il est vrai que, alors que les artistes gagnent en moyenne moins d’un centime par passage, entre USD0,006 et 0,0084 selon Spotify Artists, il peut sembler que les FSNs n’agissent pas de manière ‟fair play”.
Ceci étant dit, ce qui intéressent les fournisseurs de services numériques est d’avoir accès à du contenu musical de la meilleure qualité, partout dans le monde, qu’ils peuvent offrir sur leurs plateformes de streaming à leurs consommateurs finaux, à un prix raisonnable.
Pour réaliser ceci, ils doivent définir une stratégie commerciale en relation avec le type de contenu musical qu’ils veulent offrir et sur quels territoires. Une telle stratégie commerciale, qui détaille la description du service et l’offre aux consommateurs, ainsi que le modèle économique soutenant cela, devraient être énoncés dans le business plan du FSN et sur son term sheet de contrat de licence.
En fonction de cette stratégie commerciale, de la taille et du poids du FSN, ainsi que du budget qu’il peut réunir pour obtenir les droits à la diffusion publique des phonogrammes, le fournisseur de services numériques peut décider d’obtenir soit des ‟licences légales” de la part des sociétés de collecte, comme décrit ci-dessus, et/ou de négocier des licences ad hoc.
En effet, il est important de noter que la licence légale ne s’applique pas lorsqu’un accord direct entre le fournisseur de services numériques et le producteur de phonogramme a été signé. Cela a eu lieu avec les deals passés entre Clear Channel et les producteurs de phonogrammes tels que Glassnote (le label de Mumford & Sons) et Big Machine (le label de Taylor Swift).
Par exemple, Merlin est une agence de droits numériques globaux pour le secteur des labels indépendants, qui offre l’option attractive d’une licence globale, via un unique accord, avec les labels de musique indépendants les plus importants et commercialement prospères au monde. Parmi les FSNs que Merlin licence, on trouve Soundcloud, Vevo, Google play, Deezer, YouTube et Spotify. Récemment, Merlin a signé un accord direct avec Pandora, donnant à ce fournisseur de services numériques sont premier accord hors du système de la licence légale.
En Europe aussi, de nombreux services de streaming customisés concluent des accords de licence directs (plutôt que collectivement). Certains producteurs de phonogrammes préfèrent garder leurs droits de ‟mettre à disposition”, plutôt que de mandater les sociétés de collecte pour licencier ces droits pour leur compte.
Snowite est une autre organisation de droits de musique enregistrée qui négocie des accords de licence customisés, pour le compte de FSNs tels que Fnac Jukebox et Reglo Musique, avec les majors, les labels indépendants et les sociétés collectives.
Un autre contributeur important au succès de la conclusion d’un accord entre les FSNs et les titulaires de phonogrammes, est l’avocat spécialisé en droit de la musique: il est essentiel de contacter un avocat qui comprend comment traduire la vision du fournisseur de service numérique en un deal qui peut être exécuté. Cet avocat doit aussi guider le FSN dans la mise en place d’une stratégie de licence avec les propriétaires des phonogrammes, en particulier en favorisant des introductions et des mises en contact avec les preneurs de décisions clés travaillant au sein des majors et des labels indépendants.
Pour bénéficier des opportunités financières offertes par les droits voisins à l’ère numérique, et par le streaming en particulier, les artistes-interprètes et producteurs de phonogrammes devraient rechercher activement des opportunités de licencier leurs phonogrammes avec les meilleurs fournisseurs de services numériques, tout en assurant qu’un reporting bien cadré et exact de leurs partenariats de licence soit en place, notamment par l’exercice de droits d’audit des redevances. Les fournisseurs de services numériques auront accès à tous les catalogues musicaux auxquels ils aspirent pour leurs plateformes de streaming, à condition qu’ils comprennent et acceptent les besoins (financiers) des détenteurs de phonogrammes.
Annabelle Gauberti, l’associée fondatrice et gérante de notre cabinet d’avocats Crefovi, remercie ses pairs de l’International association of entertainment lawyers (‟IAEL”) et, en particulier, ses co-auteurs des ouvrages ‟The Streaming revolution in the entertainment industry” et ‟Licensing of music – from BC to AD (before the change / after digital)” pour le contenu extrêmement utile qu’ils ont écrit, et qu’elle a citée en partie, sur la base du « fair use », pour rédiger l’article ci-dessus.
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