Financement des maisons de luxe: la quête du Graal (ou pas!)

Financement des maisons de luxe

La  caractéristique majeure d’une maison de luxe est l’importance de la valeur de sa marque. Ceci est, de loin, l’actif le plus important pour une entreprise de luxe. Cela est dû à la concentration extrême des intangibles que cette marque incarne.

Etant donné que la valeur d’une maison de luxe est, par dessus tout, l’évaluation financière de la marque, le ‟management” de la maison de luxe doit implémenter une stratégie qui va accroître le capital de marque (‟brand equity”). C’est le but du financement des maisons de luxe.

1. Que faut-il pour construire une marque de luxe avec une évaluation financière forte?

Ceci implique que la stratégie financière soit de maximiser, non pas le résultat net, mais la valeur de la marque de luxe. Une autre conséquence est que, étant donné que les marques n’ont jamais été indiquées sur le bilan à leur valeur véritable, les maisons de luxe prospères ont généralement une rentabilité sur capitaux propres très élevée, un phénomène souvent accentué par une profitabilité très haute.

Alors, que faut-il faire pour mettre en oeuvre une stratégie qui libère le capital de marque?

Cela prends beaucoup de temps et d’argent de construire une marque de luxe qui dure. Etant donné l’importance de l’investissement qui doit être fait dans la création, la communication et la distribution, qui sont fortement qualitatives et uniquement rentables sur le long terme, une marge brute très élevée (de l’ordre de 80 pour cent) est cruciale à la survie de la marque.

Afin d’atteindre de telles marges brutes élevées sur le long terme, certaines règles de base doivent être suivies dès la création de la marque de luxe.

La première règle est de tout d’abord devenir rentable dans l’activité commerciale principale: la marque de luxe naissante doit être concentrée sur l’activité commerciale principale et s’étendre uniquement de manière progressive, et de façon contrôlée, aux produits de luxe qui sont au-delà de son coeur de métier. Une marque de luxe est profondément déficitaire au début, étant donné qu’elle ne peut transiger sur la qualité des produits qu’elle offre, alors que sa reconnaissance faible rend impossible la vente à des prix élevés. Le déficit doit être considéré comme un investissement dans le contenu de la marque.

La jeune maison de luxe doit ensuite enclencher un cercle vertueux en:

  • augmentant le volume de ses ventes, et ainsi sa production;
  • baissant les coûts, grâce à l’effet de l’expérience, qui amène à une augmentation des marges, étant donné que les prix de vente au détail sont maintenus au même niveau;
  • investissant dans la communication, grâce au déblocage de fonds avec les ventes faites, et
  • augmentant les prix de vente, ce qui sera rendu possible par la reconnaissance croissante de la marque de luxe.

Diversifier dans d’autres produits avant d’avoir atteint la rentabilité dans l’activité commerciale principale serait une erreur, et pourrait même être fatale à la maison de luxe émergente.

La deuxième règle est de s’assurer de la stabilité des ressources humaines et de la cohérence des équipes. Ces équipes stables apporteront une créativité de qualité constante, permettant par là-même de développer la loyauté de marque dans le cercle de consommateurs de la maison de luxe. Quand la maison de luxe se lance dans la diversification de produits, son équipe de management devrait être attentive au moral des troupes, étant donné que cette diversification pourrait être perçue comme un rejet des lignes existantes, ainsi que de leurs équipes. La diversification consommant un gros budget, au détriment de l’activité commerciale principale, le management doit expliquer sa stratégie d’expansion à ses équipes, et s’assurer que l’argent est dépensé de manière appropriée durant l’implémentation de cette diversification.

Pendant ce temps, il est important pour la maison de luxe de continuer à investir vigoureusement dans sa marque et sa distribution, afin de maintenir une marque très robuste et d’être ainsi protégée contre tous risques générés par la diversification. Souvent, une partie des royautés, payés par les licenciés à la maison de luxe, résultant de la diversification de produits dans les parfums, la lunetterie ou les vêtements pour enfants par exemple, seront réinvestis dans la marque de luxe et sa distribution.

Atteindre des marges élevées pour une maison de luxe demande toujours de rechercher le volume minimum de ventes au delà de ses propres frontières: l’internationalisation, et ensuite la globalisation, est la loi du luxe.  Uniquement la demande devrait être étendue à l’étranger, toutefois, certainement pas la production afin de réduire les coûts, car cela affecterait beaucoup la marque de luxe.

Quand une marque de luxe suit ces règles consciencieusement, elle génère normalement une rentabilité en chiffre d’affaires exceptionnelle, sur la durée. Au début, elle doit concentrer l’essentiel de son petit capital sur le développement de son volume de production afin d’être rentable au prix de vente souhaité. Ensuite, quand la maison de luxe atteint un prix coûtant raisonnable, elle devrait transférer la majorité de ses investissements dans la communication, y compris le développement d’un réseau de distribution de qualité.

2. Quels types de financement existent, pour les maisons de luxe?

Les maisons de luxe, avec leurs marges brutes et leurs résultats nets élevés [1], sont devenues des cibles attractives pour les financiers.

Les fonds de capital-investissement, en particulier, ont plongé dans le monde du luxe avec enthousiasme. De Jimmy Choo [2], à Hugo Boss [3] et La Perla [4], plusieurs marques de luxe ont été acquises, ou lourdement investies par, des financiers de capital-investissement.

Pour les maisons de luxe émergentes, trouver un partenaire en capital-investissement engagé, sans être dominateur, est vraiment un moyen de propulser la marque au niveau supérieur. Par exemple, l’entreprise de prêt-à-porter et sur-mesure de tweed anglaise, Dashing Tweeds, a été initialement soutenue par des investisseurs privés, permettant à la marque de croître et d’atteindre une reconnaissance nationale à travers une collaboration majeure avec la chaîne majeure Topshop.

Le capital-investissement peut être plus facile à réaliser dans des maisons de luxe basées en Grande-Bretagne, étant donné qu’il y a 50.000 business angels en Grande-Bretagne, comparé  à 8.000 en France, et étant donné que Londres est le ‟hub” le plus large pour les fonds de capital-investissement et de capital-risque (‟venture capital”) en Europe. Toutefois, la communauté des ‟business angels” français, en particulier France Angels, est désireuse d’investir dans les maisons de luxe françaises émergentes et a inauguré le ‟Réseau mode Business Angels” en décembre 2012, afin de fédérer les ‟business angels” autour d’investissements dans des ‟start-ups” du luxe et de la mode.

Pour les jeunes pousses du luxe et de la mode, qui n’ont pas encore développé de preuve de leur concept (‟proof of concept), et qui ne peuvent ainsi pas convaincre les business angels et les fonds de capital-risque d’investir dans leurs sociétés, une solution pourrait être le ‟crowdfunding”. Au printemps 2013, AudaCity of Fashion, une plateforme de ‟crowdfunding” dédiée aux ‟start-ups” de la mode et du luxe, sera lancée en Grande-Bretagne. De cette façon, les internautes pourront communiquer et grouper leur argent pour soutenir collectivement les efforts initiés par les start-ups du luxe et de la mode.

Pour en revenir au capital-investissement, celui-ci peut être un moyen pour les fondateurs d’une maison de luxe mature de ‟toucher le jackpot” et d’être financièrement rétribué pour l’ensemble de leur dur labeur antérieur. Toutefois, les problèmes arrivent si les lois du management du luxe ne sont pas scrupuleusement respectées. En effet, si ces lois, qui sont opposées aux lois du marketing traditionnel, ne sont pas respectées, suite à l’investissement en capital, la rentabilité élevée de la marque de luxe devient volatile au résultat. Ces lois du management du luxe sont souvent inconnues des non-spécialistes et sont hautement subjectives et qualitative, et sont donc éloignées des mesures quantitatives qu’affectionnent les financiers. Une des trappes dans lesquelles il est facile de tomber, est de forcer la réduction dans les dépenses structurelles relatives à la maintenance de la marque de luxe, tout particulièrement si cette marque est l’objet de pression à court-terme de la part de ses actionnaires suite à une baisse temporaire de la rentabilité. Bien que ces coupes dans des dépenses ‟inutiles” pourraient sembler avoir un impact positif immédiat sur le résultat brut d’exploitation de la maison de luxe, les coupes endommagent la marque et l’image de manière invisible, au départ, mais qui, deux ans plus tard, peut être irréparable.

En outre, la valeur exacte de la maison de luxe pourrait devenir un problème, durant les négociations entre les propriétaires de la maison de luxe et les financiers en capital-investissement, étant donné que l’évaluation de la marque est basée sur une concentration extrême des intangibles, difficile à mesurer en termes factuels.

Une autre stratégie externe afin de trouver du financement, pour une maison de luxe, est d’avoir accès au financement par le biais de prêts bancaires. Alors que cela serait une tactique relativement aisée à mettre en oeuvre, pour une maison de luxe bien établie, parce qu’elle a déjà plusieurs jeux de résultats annuels et de comptes financiers démontrant sa stabilité financière, une maison de luxe émergente pourrait avoir du mal.

Les maisons de luxe matures, qui peuvent apporter la preuve de revenus des ventes solides, ont accès aux marchés globaux de la dette, pouvant recourir à des prêts syndiqués de type ‟investment grade”, des prêts-relais, ou, des produits de prêts encore plus sophistiqués tels que le financement des opérations commerciales structurées (‟structured trade finance”). Par exemple, une marque de fourrure telle que Hockley pourrait approcher sa banque habituelle afin de financer l’achat aux enchères, de peaux de fourrure de très haute qualité et valeur. Un tel financement à court-terme serait accompagné de sûretés prises sur ces fourrures. Hockley fabriquerait ensuite des manteaux et accessoires luxueux, grâce à ces fourrures, et rembourserait le capital et les intérêts dérivants du financement de l’opération commerciale, par mensualités régulières, en utilisant la trésorerie générée par la vente de ces produits de luxe.

Etant donné que le financement par le biais de prêts bancaires est difficile à obtenir pour elles, les maisons de luxe émergentes peuvent décider d’utiliser l’affacturage comme alternative viable à la gestion de leurs cash flows. L’affacturage semble relativement difficile à obtenir pour les PME en Grande-Bretagne, alors qu’il est standardisé et souvent utilisé comme instrument financier en France et aux Etats-Unis. Les sociétés d’affacturage, telles que GE Capital ou Hilldun Corporation aux Etats-Unis, Eurofactor, BNP Paribas Factor ou Natixis Factor en France, acceptent d’avancer entre 80 et 90 pour cent du montant total de la facture, à la maison de luxe, après que celle-ci ait livré sa marchandise à ses distributeurs. Le reste de la facture, moins les coûts pour le service d’affacturage, est remboursé à la maison de luxe quand le distributeur paie le factor. Les coûts pour ce service d’affacturage varient entre 0,6 et 3 pour cent du montant de la facture. De tels coûts sont basés sur le chiffre d’affaires annuel de la maison de luxe, le nombre de ses factures émises et le nombre de ses clients.

Les fédérations nationales du commerce, désireuses de développer la création et l’innovation, ont mis plusieurs instruments de financement à la portée des maisons de luxe et de mode émergentes.

Un des instruments les plus innovants est la ‟Banque de la Mode”, lancée en mars 2012 à Paris. Chanel, Balenciaga et Louis Vuitton Malletier, entre autres, ont groupé leurs efforts avec la Fédération Française du Prêt-à-Porter Féminin, afin de créer un fonds de garantie, qui fournit des garanties financières aux jeunes designers qui demandent des prêts aux banques, ainsi qu’un fonds d’avances remboursables, qui fournit du financement court-terme jusqu’à 100.000 Euros par designer.

En Angleterre, le lancement en mars 2013 de Creative Industry Finance, une initiative du Arts Council England, offrant du support pour pour soutenir la croissance et accéder à du financement, aux entreprises des industries créatives, pourrait être un instrument utile afin d’accélérer la croissance des sociétés de luxe émergentes anglaises, dans le futur.

Enfin, NEWGEN, mis en place par le British Fashion Council (‟BFC”), offre aux designers organisant des défilés, du support financier pour payer leurs frais de défilés, et l’opportunité d’utiliser l’espace réservé aux défilés au sein du BFC. NEWGEN a soutenu avec succès des designers tels que Christopher Kane, Mary Katrantzou et Meadham Kirchhoff. Fashion Fringe, fondé en 2003 par Colin McDowell et IMG Fashion, encourage aussi des designers talentueux tels qu’Erdem et Fyodor Golan.

Libérer le potentiel du capital de marque d’une maison de luxe est un équilibre délicat entre une créativité et une innovation d’avant-garde et de pointe, ainsi que des compétences de gestion financière et des ressources humaines rigoureuses. Trouver le bon partenaire, pour son financement, et les solutions de financement appropriées, doivent être une priorité pour une maison de luxe, tout particulièrement si cette maison est encore assez vulnérable, aux premiers stades de son développement.


[1] Des marques très concentrées sur des produits de niche, telles que Louis Vuitton Malletier et Rolex, ont régulièrement obtenu des taux de résultats net supérieurs à 35 pour cent sur leurs venues, pendant plus de 20 ans.
 
[2] Jimmy Choo a été vendu en 2011 par la société de capital-investissement TowerBrook Capital Partners LLP à Labelux, un groupe au capital privé qui détient Bally, pour plus de GBP500 millions.
 
[3] Il est dit que le fond de capital-investissement Permira a acquis Valentino Fashion Group pour 2,6 milliards d’Euros en 2007, afin d’acquérir Hugo Boss, dans lequel Valentino à une participation de 51 pour cent.
 
[4] Depuis 2007, La Perla est détenu par  JH Partners, une société de capital-investissement spécialisée sur le secteur de la consommation.

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