
Cette saga juridique prolongée est un exemple cinglant de la façon dont les procédures d’arbitrage et les sentences arbitrales ultérieures peuvent être déraillées et vidées de leur substance et de leur pouvoir, lorsque les conditions élémentaires et les étapes de base n’ont pas été respectées par les parties à de telles procédure d’arbitrage Kabab-Ji contre Kout Food, dès le départ. Ces fissures dans le fragile ‟écosystème de l’arbitrage” laissent la porte ouverte aux procédures d’annulation et aux demandes, auprès des tribunaux, de refuser la reconnaissance et l’exécution de toute sentence arbitrale rendue dans de telles circonstances. Dès lors, ce qui devait être un mode alternatif de règlement des litiges confidentiel, rapide et solide, est devenu un gâchis de procédures judiciaires très médiatisé pendant sept ans, comprenant deux procédures judiciaires entrecroisées en France et au Royaume-Uni, qui ont été escaladées jusqu’au sommet des échelons juridictionnels, au niveau de la cour de cassation et de la ‟supreme court”. Pourtant, aucun résultat pragmatique et tangible n’a été obtenu par la partie qui voulait que la sentence arbitrale Kabab-Ji contre Kout Food soit exécutée au Royaume-Uni, alors que d’importants moyens financiers et juridiques ont été déployés partout… pour, finalement, rien. Comment les parties à cet arbitrage en sont-elles arrivées là? Comment ce triste état de fait aurait-il pu être évité?
1. Kabab-Ji contre Kout Food: les faits
La société libanaise Kabab-Ji SAL (‟KJI”) a développé un type de restaurant distinctif spécialisé dans la cuisine libanaise et d’autres cuisines du Moyen-Orient et détient des marques de commerce et d’autres droits qui sous-tendent ce concept de restaurant.
Par un accord de développement de franchise (‟Franchise Development Agreement”) daté du 16 juillet 2001 (le ‟FDA”), KJI, agissant en tant que concédant, a accordé une licence à la société koweïtienne ‟Al Homaizi Foodstuff Company” (‟AHFC”), agissant en tant que licencié, pour exploiter une franchise en utilisant son concept de restaurant au Koweït pour une période de dix ans. Dans le cadre du FDA, KJI et AHFC ont par la suite conclu un total de dix accords de franchise (‟Franchise Outlet Agreements”) (‟FOAs” et, avec le FDA, les ‟Accords de franchise”) concernant des points de vente individuels ouverts au Koweït.
Les Accords de franchise étaient tous expressément régis par le droit anglais, et chacun contenait une clause d’arbitrage distincte prévoyant un arbitrage de la Chambre de commerce internationale (‟CCI”) siégeant à Paris.
En 2005, AHFC a subi une restructuration d’entreprise. Par la suite, une nouvelle société holding appelée ‟Kout Food Group” (‟KFG”) a été constituée et AHFC est devenue une filiale de KFG. La société mère d’AHFC, KFG, n’a jamais signé aucun des Accords de franchise.
Le 16 juillet 2011, aucun nouveau contrat n’ayant été conclu, les Accords de franchise ont expiré.
Le 27 mars 2015, KJI a entamé une procédure d’arbitrage selon les règles de la CCI à Paris. KJI a intenté des actions en responsabilité contractuelle en vertu des Accords de franchise, non pas contre son licencié, AHFC, mais contre la société mère du licencié, KFG. KFG a contesté la validité de la demande d’arbitrage au motif qu’elle n’était ni partie aux Accords de franchise, ni, par conséquent, partie à la convention d’arbitrage énoncée dans les Accords de franchise.
Les clauses pertinentes du FDA étaient:
‟Article 3: Attribution de droits
3.1. Licence… Cette concession est destinée à être de nature strictement personnelle pour le Licencié, et aucun droit en vertu des présentes, quel qu’il soit, ne peut être cédé ou transféré par le Licencié, en tout ou en partie, sans l’approbation écrite préalable du Concédant.
Article 14: Règlement des litiges
14.2… tout litige, controverse ou réclamation entre le Concédant et le Licencié, concernant tout problème, découlant de ou lié au présent Contrat, ou la violation de celui-ci … doit, à défaut de règlement à l’amiable, à la demande du Concédant ou du Licencié, être finalement réglé en vertu des [règles de la CCI…].
14.3. Le ou les arbitres appliqueront les dispositions contenues dans le Contrat. Le ou les arbitres appliqueront également les principes de droit généralement reconnus dans les transactions internationales… En aucun cas, le ou les arbitres n’appliqueront de règle(s) contraire(s) à la stricte formulation du Contrat.
14.5. L’arbitrage se déroulera en anglais, à Paris, France.
Article 15 : Droit applicable
Le présent Contrat sera régi et interprété conformément aux lois anglaises.
Article 19 : Droits incessibles
Les parties au présent Contrat conviennent que tous les droits accordés au Licencié en vertu du présent Contrat sont de nature personnelle … L’intérêt du Licencié en vertu du présent Contrat n’est ni transférable ni cessible, en aucune circonstance que ce soit, volontairement, de plein droit ou autrement, sans le consentement écrit de Concédant…”.
2. Kabab-Ji contre Kout Food: procédure
Par sentence arbitrale définitive Kabab-Ji contre Kout Food, rendue le 11 septembre 2017, les trois arbitres (Bruno Leurent, président, Mohamed Abdel Wahab, arbitre désigné par la demanderesse, KJI, et Klaus Reichert, arbitre désigné par la défenderesse, KFG) ont décidé, à la majorité (Klaus Reichert, le seul arbitre de droit anglais, dissident), que la question de savoir si les arbitres étaient ou non compétents contre KFG était régie par le droit français. Les arbitres ont alors appliqué le droit français pour conclure que KFG était devenu partie aux Accords de franchise et était donc tenue de payer à KJI des droits de licence impayés, accumulés entre 2008 et 2011, ainsi que des dommages et intérêts pour manque à gagner, pour violation des Accords de franchise.
En décembre 2017, KFG a engagé une action en annulation de la sentence arbitrale définitive susmentionnée, devant la cour d’appel de Paris, au motif notamment de l’incompétence des arbitres à l’égard de KFG puisqu’elle n’était pas partie à, et donc pas liée par, les Accords de franchise et leurs clauses compromissoires respectives. KFG a également fait valoir, pour annuler la sentence arbitrale, que le tribunal arbitral aurait dû appliquer le droit anglais, en tant que droit que les parties avaient expressément choisi pour régir l’intégralité des Accords de franchise, y compris les conventions d’arbitrage qu’ils contenaient.
Toujours en décembre 2017, KJI a engagé une procédure devant le tribunal de commerce anglais de Londres, afin de faire exécuter la sentence arbitrale du 11 septembre 2017 en tant que jugement. KFG a demandé reconventionnellement, dans cette procédure, une ordonnance de refus de reconnaissance et d’exécution de cette sentence arbitrale en Angleterre, au motif qu’elle n’était pas liée par les Accords de franchise et leurs clauses compromissoires, en s’appuyant sur l’article V (1 ) de la Convention de New York et l’article 103 de la loi anglaise sur l’arbitrage 1996 (‟Arbitration act 1996”).
Dans le premier jugement rendu dans le cadre de ces procédures parallèles (c’est-à-dire le jugement de la haute cour (‟high court”) dans l’affaire KJI (Liban) c. KFG (Koweït) [2019] EWHC 899, daté du 29 mars 2019), le tribunal de commerce anglais a statué que le droit anglais, la loi des Accords de franchise, régissait la validité des conventions d’arbitrage. Le tribunal anglais a toutefois ajourné une décision finale sur la question de savoir si KFG était liée par les conventions d’arbitrage. KJI a fait appel de cette décision devant la cour d’appel anglaise, qui a rendu son arrêt le 20 janvier 2020. La cour d’appel anglaise a refusé la reconnaissance et l’exécution de la sentence arbitrale du 11 septembre 2017 en Angleterre et au Pays de Galles, et KJI a fait appel de cette décision auprès de la cour suprême du Royaume-Uni (‟UKSC”).
Entre-temps, la cour d’appel de Paris a rendu son arrêt le 23 juin 2020, dans le cadre de la procédure française d’annulation de la sentence arbitrale définitive du 11 septembre 2017, introduite par KFG. La cour d’appel a rejeté les demandes de KFG pour tous les moyens, décidant que la désignation par les parties du droit anglais comme régissant généralement les Accords de franchise ne revenait pas à établir la ‟volonté commune des parties” (sic) requise pour soumettre également les conventions d’arbitrage au droit anglais. La cour d’appel de Paris a également noté que les principes de droit généralement reconnus établissaient que le droit matériel du lieu du siège de l’arbitrage devait s’appliquer aux décisions impliquant la clause compromissoire. Ainsi, en application du droit français, la cour d’appel a estimé que les conventions d’arbitrage pouvaient être étendues à un non-signataire directement impliqué dans l’exécution des Accords de franchise et dans les éventuels litiges nés de ces Accords de franchise. Elle a donc rejeté le recours en annulation de KFG. KFG a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt rendu par la cour d’appel de Paris, auprès de la cour de cassation (‟CC”).
Dans son arrêt du 27 octobre 2021, l’UKSC est parvenue à la conclusion inverse de celle formée par la cour d’appel de Paris. L’UKSC a conclu que le droit anglais régissait la question de savoir si KFG était devenue partie aux accords d’arbitrage, car (i) les parties avaient choisi le droit anglais pour régir les Accords de franchise et (ii) les parties avaient expressément déclaré que le droit anglais régirait toutes les dispositions des Accords de franchise (y compris les conventions d’arbitrage). L’UKSC a clairement indiqué, conformément à la décision antérieure de l’UKSC, Enka Insaat contre Sanayi AS v OOO ‟Insurance Company Chubb” [2020] UKSC 38, qu’‟il semble difficile de résister à la conclusion qu’une clause générale de choix de loi dans un contrat écrit contenant une clause compromissoire, sera normalement une indication suffisante de la loi à laquelle les parties ont soumis les conventions d’arbitrage”, et ‟nous souscrivons à la conclusion du juge, et de la cour d’appel, que la loi régissant la question de savoir si KFG est devenue partie à la convention d’arbitrage est de droit anglais”, et ‟cl. 14.3 du FDA n’enlève rien au choix de la loi anglaise en tant que loi que, en vertu de l’article 103 (2) (b) de la loi sur l’arbitrage de 1996, le tribunal anglais doit appliquer pour déterminer si KFG est devenue partie à la convention d’arbitrage dans le FDA”. En conséquence, l’UKSC a conclu dans son jugement, conformément à l’article 15 du FDA, que le droit anglais régit l’ensemble du FDA, y compris la clause compromissoire. Appliquant le droit anglais, l’UKSC a confirmé que KFG n’était pas lié par les accords d’arbitrage entre AHFC et KJI et a rejeté à l’unanimité l’appel de KJI. Par conséquent, à ce jour, la sentence arbitrale de 2017 susmentionnée est, et reste, inexécutoire au Royaume-Uni, par KJI, sur les actifs de KFG (et, bien sûr, sur les actifs d’AHFC).
Dans son arrêt du 28 septembre 2022, la CC a confirmé l’arrêt de la cour d’appel de Paris. Elle a jugé qu’en droit français, la loi du siège régit une convention d’arbitrage, y compris sa validité et son efficacité, sauf lorsque les parties soumettent expressément la validité et les effets de la convention d’arbitrage à un choix de loi différent. Pour parvenir à cette conclusion, la CC a rejeté l’argument de KFG selon lequel la clause de choix de la loi applicable aux Accords de franchise devrait s’appliquer à l’ensemble du contrat, y compris les clauses compromissoires, car (i) les Accords de franchise stipulaient qu’ils devaient être interprétés comme un contrat unique, et (ii) la convention d’arbitrage elle-même chargeait explicitement les arbitres d’appliquer les dispositions des Accords de franchise et interdisait aux arbitres d’appliquer des règles qui contrediraient les Accords de franchise. Au contraire, la CC a jugé que, conformément à une ‟règle de fond de l’arbitrage international”, une convention d’arbitrage est juridiquement indépendante du contrat sous-jacent dans lequel elle est contenue. En vertu du droit français, l’existence et l’effectivité de la convention d’arbitrage sont déterminées par la ‟volonté commune des parties”. Selon la CC, le choix par les parties de la loi anglaise comme droit matériel des contrats ne témoignait pas d’une volonté commune de désigner le droit anglais comme loi régissant la convention d’arbitrage. Étant donné que les conventions d’arbitrage faisaient référence à un siège d’arbitrage à Paris, les règles de fond du siège (c’est-à-dire les règles matérielles du droit français dans le domaine de l’arbitrage international) s’appliquaient pour déterminer si un non-signataire était lié par une convention d’arbitrage. En droit français, KFG était liée par les conventions d’arbitrage. Par conséquent, à ce jour, la sentence arbitrale de 2017 susmentionnée est, et reste, exécutoire en France, par KJI, sur les actifs de KFG, si KFG détient des actifs en France.
Au vu de tout ce qui précède, et d’un point de vue pragmatique, il convient de noter que KJI peut exécuter la sentence arbitrale de 2017 en France, mais pas au Royaume-Uni, sur les actifs de KFG.
3. Principaux apports de l’affaire Kabab-Ji c. Kout Food
3.1. Indiquez toujours explicitement la loi régissant la convention d’arbitrage, dans la clause compromissoire
Si la clause compromissoire énoncée dans les Accords de franchise avait été explicite et claire, quant à la loi régissant la convention d’arbitrage, aucune de ces confusions et aucune décision de justice divergente, ne se seraient produites.
Si les parties ne précisent pas la loi régissant une convention d’arbitrage, elles courent le risque de résultats contradictoires entre les juridictions – et de procédures judiciaires potentiellement prolongées, comme on le voit dans cette affaire Kabab-Ji contre Kout Food – concernant la validité et le caractère exécutoire d’une sentence arbitrale. Ce risque est particulièrement aigu lorsque le droit matériel du contrat et le droit du siège de l’arbitrage diffèrent, comme dans le cas d’espèce.
Etant donné que la CC a laissé ouverte que la ‟volonté commune des parties”, si elle était exprimée, puisse être ‟suffisante pour soumettre l’efficacité de la convention d’arbitrage” à une autre loi que celle du siège français, il est évidemment indispensable, lorsque les parties se mettent d’accord sur un arbitrage auprès de la CCI Paris, de prévoir, dans une clause équivalente à l’article 15 du FDA mentionné ci-dessus dans le cas d’espèce, une disposition expresse telle que ‟Le présent accord, y compris l’arbitrage prévu à l’article 14.2 ci-dessus, sera régi par et interprété conformément à conformément aux lois d’Angleterre”.
Les clauses d’arbitrage standard fournies par certaines institutions d’arbitrage, telles que la clause d’arbitrage standard de la CCI, ne traitent pas de la question du droit de la convention d’arbitrage. Dans la mesure où les parties utilisent de telles clauses, elles devraient les modifier afin d’énoncer explicitement la loi régissant la convention d’arbitrage. Et les institutions d’arbitrage, telles que la CCI, devraient modifier rapidement leurs clauses d’arbitrage standard, afin d’ajouter un langage approprié permettant aux parties d’énoncer explicitement la loi régissant leur convention d’arbitrage.
3.2. Avant d’entamer une action en justice, gardez à l’esprit que les deux systèmes de droit – français et anglais – resteront fidèles à leurs traditions et principes juridiques, même si cela entraîne des résultats divergents d’un pays à l’autre, en ce qui concerne la loi applicable à l’accord d’arbitrage
Cette affaire Kabab-Ji contre Kout Food démontre l’approche incohérente de la manière dont la loi applicable à la convention d’arbitrage peut être déterminée:
- devant la cour d’appel de Paris, puis la CC, confirmant la position française ancienne sur la loi applicable à une convention d’arbitrage, face à un choix exprès de Paris comme siège de l’arbitrage, que, même lorsque les Accords de franchise sont régis par le droit anglais, ce sont les règles de fond du droit français de l’arbitrage qui régissent la validité de la clause compromissoire, y compris qui y est partie, et
- auprès du tribunal de commerce de Londres, de la cour d’appel du Royaume-Uni puis de l’UKSC, confirmant que le droit régissant la validité de la convention d’arbitrage était le droit anglais, conformément au précédent précité Enka Insaat ve Sanayi AS v OOO ‟Insurance Company Chubb” qui stipule: ‟lorsqu’une convention d’arbitrage est muette quant à sa loi applicable, la loi expressément choisie par les parties pour régir l’ensemble du contrat est généralement interprétée comme régissant la convention d’arbitrage”.
En effet, KJI a gaspillé de l’argent en honoraires d’avocats et frais judiciaires, en tentant de faire appliquer la sentence arbitrale Kabab-Ji contre Kout Food de 2017 au Royaume-Uni, contre les actifs de KFG, alors qu’il était clair, dès le départ, que les tribunaux britanniques ne seraient jamais d’accord avec le raisonnement, et les arguments juridiques, qui ont étayé cette sentence arbitrale finale du 11 septembre 2017. KJI pourrait gaspiller encore plus d’argent si elle devait engager d’autres procédures judiciaires dans toute autre juridiction anglo-saxonne (telle que les États-Unis d’Amérique, Hong Kong, etc.) et serait certainement perdante si elle intentait de nouvelles poursuites judiciaires pour l’exécution et la reconnaissance de cette sentence arbitrale de 2017, dans des pays appartenant au Commonwealth (Antigua-et-Barbuda, Australie, Bahamas, Belize, Canada, Grenade, Jamaïque , Nouvelle-Zélande, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les Grenadines, Îles Salomon, Tuvalu) et/ou dans les îles anglo-normandes (Jersey et Guernesey). En effet, via une combinaison de l’application de la convention de New York et de l’influence du Comité judiciaire du Conseil privé (‟Judicial Committee of the Privy Council”), aucun de ces pays susmentionnés (beaucoup d’entre eux, des paradis fiscaux où KFG pourrait très bien avoir caché des comptes bancaires et réserves) ne reconnaîtrait, et n’appliquerajt, la sentence arbitrale de 2017 sur leur sol.
3.3. Interprétation stricte des Accords de franchise, ou percer le voile corporatif, telle est la question
Comme on le voit dans cette affaire Kabab-Ji contre Kout Food, les tribunaux anglais ont également tenu bon en ce qui concerne l’interprétation stricte des Accords de franchise, et en particulier des articles 3, 13, 14 et 19 susmentionnés du FDA, soulignant que les Accords de franchise avaient été conclus uniquement par KJI, en tant que concédant, et AHFC, en tant que licencié, même après la restructuration de 2005, lorsque KFG est devenue la société mère d’AHFC en 2005. Le tribunal de commerce, la cour d’appel et l’UKSC ont absolument refusé de ‟percer le voile corporatif” (c’est-à-dire rendre une décision traitant les droits ou les devoirs d’une société comme les droits ou les responsabilités de ses actionnaires et/ou de sa société mère), conformément au droit anglais qui était, après tout, le droit applicable aux Accords de franchise. Leur argument principal était que, si les parties aux Accords de franchise avaient voulu faire de KFG une partie supplémentaire à ces contrats, elles auraient modifié ces Accords de franchise en conséquence et/ou obtenu l’approbation écrite préalable de KJI, le Concédant, entre 2005 (la date de la restructuration d’entreprise) et le 16 juillet 2011 (c’est-à-dire la date de résiliation des Accords de franchise).
Pourtant, le tribunal arbitral de la CCI, siégeant à Paris, puis les tribunaux français, ont adopté une approche beaucoup plus ‟méditerranéenne” des questions clés de savoir si KFG pouvait être considérée comme partie aux Accords de franchise, et aux conventions d’arbitrage établies dans ces Accords de franchise, et pouvait donc être tenue responsable des actions et responsabilités de sa filiale, AHFC. Les réponses à ces trois questions sont ‟oui”, ‟oui” et ‟oui”, en droit français, apparemment, comme l’illustre cette affaire. S’il n’existe pas de législation expresse stipulant que la levée du voile social est licite, en France, une jurisprudence bien établie de la CC reconnaît que lever le voile social est opportun lorsqu’une société mère participe à des négociations commerciales, et/ou aux activités commerciales, de sa filiale. Dans cette affaire Kabab-Ji contre Kout Food, la cour d’appel de Paris précise clairement, dans son arrêt du 23 juin 2020, que plusieurs éléments de preuve prouvent que KFG dirigeait et gérait les différents restaurants Kabab-Ji au Koweït, alors qu’AHFC ne dirigeait plus rien. Dès lors, selon la cour d’appel de Paris, puis la CC, il convenait de lever le voile corporatif dans ces circonstances et de répercuter les responsabilités et obligations d’AHFC sur sa maison mère, KFG.
Les parties à un accord commercial contenant une clause compromissoire doivent donc être très prudentes, lorsqu’elles choisissent la loi régissant la convention d’arbitrage, quant à savoir s’il est dans leur intérêt de choisir:
- soit une loi qui adopte une approche rigide et stricte, en ce qui concerne l’interprétation des clauses de l’accord commercial et le respect du voile corporatif (comme le droit anglais), ou
- un droit et/ou une jurisprudence beaucoup plus ‟fluide” et factuel, procédant au cas par cas, en matière d’interprétation des clauses de l’accord commercial et de levée du voile social (comme le droit français).
Si une partie pense qu’elle peut faire l’objet d’une fusion ou d’une acquisition, lors de l’exécution de cet accord commercial, elle peut préférer choisir le droit anglais, afin de séparer sa responsabilité personnelle de celle de tout futur acquéreur, et devenir ainsi une cible d’acquisition plus attrayante. Et si une partie pense que son cocontractant à l’accord commercial peut faire l’objet d’une fusion ou d’une acquisition dans un avenir proche, elle peut préférer choisir la loi française comme loi de la convention d’arbitrage, afin de pouvoir poursuivre en justice la société mère (plus solide, financièrement) de la contrepartie, au cas où les choses tournent mal.
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