
Dans l’écosysteme musical, le label de musique est le ‟facilitateur” et la ‟personne d’action” qui produit, fabrique, distribue, promeut et lance les chansons et albums musicaux.
Le terme ‟label” provient du label circulaire au centre d’un disque vinyl, qui affiche au premier plan le nom du fabricant, ainsi que d’autres informations. Bien que le ‟business model” des labels de musique a substantiellement évolué, depuis l’époque où le terme ‟label” a été concocté, certaines choses sont immunes au passage du temps: la structure d’entreprise d’un label est toujours identique, avec un président en charge des affaires de toute la société en haut de l’organigramme, et plusieurs vice présidents en charge de différents départements tels que:
- A&R (artistes et répertoire) – en charge de découvrir de nouveaux talents, d’assister l’artiste avec sa sélection musicale, de choisir les gens qui vont produire les chansons et de décider où l’album sera enregistré;
- Département artistique – en charge de toutes les oeuvres d’art qui vont avec la production de chansons (y compris l’art couvrant les CDs et fichiers MP3 et de streaming, les publicités et les présentations dans les magasins de musique et sur les sites internet);
- Développement des artistes ou développement produit – responsable pour la planification des carrières des artistes qui ont signé avec le label, en promouvant et faisant parler des artistes durant le cours de leur carrière;
- ‟Business Affairs” – qui gère le côté business tels que la comptabilité, la paie et les finances générales;
- ‟Label liaison” – qui agit comme liaison, entre la société de distribution du label responsable pour mettre les vinyls, CDs, et fichiers MP3 dans les magasins et dur et en ligne ou les agrégateurs, et la maison de disques;
- Département juridique – responsable pour tous les contrats qui sont conclus entre le label et l’artiste, ainsi que les contrats entre le label et les autres sociétés, ainsi que pour la gestion des contentieux et des problématiques juridiques qui pourraient surgir pour le label;
- Département marketing – qui crée le plan de marketing global pour chaque album que la maison de disques va sortir et coordonne les plans des départements promotion, vente et publicité;
- Nouveaux médias – en charge de gérer les nouveaux aspects du business de la musique, y compris la production et la promotion de vidéos musicales pour l’artiste, apportant du support à un artiste en créant une présence sur internet et en gérant les nouvelles technologies dans lesquelles les artistes peuvent streamer leur musique et leurs vidéos musicales sur le net (YouTube, Vimeo, etc);
- Département promotion – dont le rôle principal est de s’assurer qu’un artiste, et en particulier ses nouvelles chansons, soient jouées à la radio et que les vidéos de l’artiste soient jouées sur MTV, les chaînes VH1 ainsi que les sites de vidéo en streaming à la demande (pour ces derniers, en coordination avec l’équipe Nouveaux médias);
- Publicité – qui est responsable de générer du buzz concernant un artiste nouveau ou établi, en obtenant la publication d’articles dans les journaux, blogs et magazines, et en gérant la couverture radio et télévision d’un artiste, et
- Ventes – qui supervise les aspects retail d’une maison de disques, en travaillant avec les chaînes de magasins de disques et autres vendeurs de musique pour s’assurer que les nouveaux albums soient installés sur les rayonnages des détaillants, en coordination avec les efforts des départements Promotion et Publicité.
Alors que l’industrie s’est durcie, notamment du fait de la montée du piratage musical et de la démocratisation de la musique en ligne gratuite, une consolidation a eu lieu dans le secteur des labels: de nombreuses maisons de disques, maintenant, sont d’énormes conglomérats qui possèdent une variété de labels filiales. Ces sociétés musicales sont majoritairement composées d’une société mère ou holding qui possède plus d’un label et sont, en général, basées à New York, Los Angeles, Londres ou Nashville. Par exemple, Warner Music Group détient trois labels principaux, Atlantic Records Group, Warner Bros. Records et Parlophone. A son tour, Warner Bros. Records détient, parmi bien d’autres labels, Maverick Records (à l’origine fondé en 1992 par Madonna), Sire Records (fondé en 1966 par Seymour Stein qui a signé les Ramones et Talking Heads) et Reprise Records (fondé en 1960 par Frank Sinatra pour permettre ‟plus de liberté artistique” pour ses propres enregistrements).
Cette consolidation sans pitié de l’industrie des labels musicaux a maintenant laissé trois labels major dans l’arène, depuis 2012: Universal Music Group, Sony Music Entertainment et Warner Music Group, qui contrôlent à peu près 60 pour cent du marché de la musique mondial et à peu près 65 pour cent du marché musical aux Etats Unis[1].
Les maisons de disques qui ne sont pas sous le contrôle ou l’égide des ‟big three” sont considérés comme indépendants, même si elles sont des sociétés de grosse taille avec des structures complexes. Le label indépendant qui a eu le plus de succès de tous les temps est, sans conteste, A&M Records, fondé en 1962 par le trompettiste Herb Alpert et le promoteur de disques Jerry Moss. Pendant son existence d’une durée de 37 ans, A&M a signé des actes tels que The Carpenters, Cat Stevens, The Police, Sting, Bryan Adams, Suzanne Vega et Sheryl Crow. Alpert et Moss ont vendu A&M à Polygram en 1989 à la condition qu’ils continuent à le gérer de manière indépendante. Alors que Polygram a été acheté plus tard par Universal Music Group en 1998, A&M a cessé d’exister l’année suivante en tant que label et marque. Aujourd’hui, certains labels indépendants à succès qui se sont taillé une part de marché sont Beggars Group (qui a sorti les albums d’Adele intitulés ‟19”, ‟21” et ‟25”) en Grande-Bretagne et Because Group en France.
Un nouveau paradigme est en train de causer une révolution dans l’industrie de la musique, que les labels tentent désespérément de comprendre et dont ils essayent de tirer profit. Depuis que le service indépendant d’échange de fichiers ‟peer-to-peer” Napster a été inventé par Shawn Fanning et Sean Parker en 1998[2], les consommateurs ont collectivement forcé et pressurisé les industries de la musique et de la tech à reconsidérer l’offre d’outils de distribution musicale et de consommation musicale. Cette perturbation a radicalement et irrévocablement annihilé le business model musical traditionnel de type ‟vache à lait”, basé sur les produits physiques (CDs, mini-discs, vinyls, cassettes, etc.), les points de vente en dur (Virgin, HMV, etc.) ainsi que les équipements nécessaires pour écouter ces produits physiques (lecteurs CD et radiocassettes, systèmes HI-FI, etc.), pour le remplacer par un business model music/tech beaucoup plus compétitif, virtuel, ‟lean”, complexe et guidé par les données, basé sur les revenus du digital (streaming, téléchargements, radio internet, etc.), les points de distribution en ligne (Amazon, iTunes, fournisseurs de services d’abonnement digital tels que Spotify et Deezer, etc.) et la consommation en ligne (sur les tablettes, laptops, smart phones, ipods, etc.).
Après de nombreuses pleurnicheries et beaucoup de déni exprimés par la vaste majorité des acteurs de l’industrie musicale, en particulier par le top management et les artistes baby-boomers, qui diffèrent dans leurs valeurs fondamentales avec la Génération X et les Millennials, en ce qu’ils préfèrent ‟posséder” les objets plutôt que d’adopter l’économie de ‟partage” et ‟d’accès”, de plus en plus prospère, favorisée par leurs juniors, les labels sont en train de se ressaisir pour survivre et s’adapter à ce nouveau paradigme.
Dans ce contexte, j’offre ici un aperçu des évolutions et stratégies les plus récentes et astucieuses mises en place par les labels afin qu’ils jouent leurs cartes correctement. Pendant ce temps, les sociétés multinationales de la tech, extrêmement prospères et riches en cash tels que Google et Apple, guettent à distance, donnant déjà du fil à retordre aux labels en coupant l’intermédiaire entre le précieux et très recherché contenu musical et les catalogues, et les milliards de consommateurs qui refusent obstinément de dépenser de larges sommes pour écouter ce matériel musical.
1. Les labels et l’interprète: quelles transactions sont sur la table aujourd’hui?
Aujourd’hui, plus qu’à toute autre période historiquement, une vaste palette de choix et d’options s’offre tant aux labels qu’au talent, pour trouver un accord sur la façon de faire de la musique ensemble, ainsi que pour la promouvoir, la mettre en avant et la distribuer.
1.1. Transaction traditionnelle
Les contrats d’enregistrement sont des accords contraignants entre l’interprète et/ou des groupes de musique et un label, permettant au label d’exploiter la représentation d’un enregistrement sonore d’un artiste, en échange de paiement de redevances.
Dans la plupart des contrats d’enregistrement exclusifs et traditionnels, l’interprète va céder son droit d’auteur dans les enregistrements sonores à la maison de disques. Une cession de droits est un transfert irréversible de propriété pour la durée entière du droit d’auteur. Dans le cas des enregistrements sonores, cela représentera 50 ans depuis la date de sortie au Royaume-Uni[3], et 70 ans depuis la date de sortie en France[4]. Ainsi, même lorsque l’artiste a repayé tous les coûts d’enregistrement, le label restera toujours le propriétaire des masters.
Dans une transaction traditionnelle, l’exploitation passe par les ventes physiques, tels que les CDs, vinyls et cassettes, les performances en public et la diffusion des oeuvres, la vente de produits numériques tels que les téléchargements, les sonneries portables et le streaming de morceaux de musique. Le contrat va définir un disque comme incluant aussi les appareils audio-visuels, donc les ‟Dualdisc”, les DVDs, les vidéos en ligne et d’autres nouvelles technologies seront couverts par cette définition.
Le contrat d’enregistrement va normalement exiger que l’artiste signe avec le label de manière exclusive. Comme cela signifie que l’artiste ne peut ni enregistrer pour un autre label sans permission, ni abandonner le contrat s’il est mécontent, les labels justifient cette exclusivité en évoquant les sommes d’argent ‟énormes” investies pour faire percer un acte et en affirmant qu’ils ont besoin de ce niveau de contrôle afin d’améliorer les chances de générer un profit ou de limiter leurs pertes. Cette stratégie peut se retourner contre eux, toutefois, si les labels ne peuvent justifier cette exclusivité au travers d’investissements factuels dans leurs groupes, comme illustré par la confrontation très publique entre la chanteuse britannique Rita Ora et le label de Jay Z, Roc Nation[5].
Les majors, qui sont les maisons de disques dans la position la plus forte, et qui ont l’inclinaison la plus forte d’offrir des deals traditionnels, vont normalement signer un artiste pour un deal mondial. Des sociétés telles que Universal et Sony Music Entertainment ont des bureaux dans tous les marchés principaux, associés à un vaste réseau de distribution capable de délivrer leurs derniers produits même dans des supermarchés de proximité! Les deals divisant les territoires sont plus rares pour les majors, mais les labels indépendants peuvent être plus enclins à accepter un tel arrangement.
En ce qui concerne la durée, elle est calculée par référence à une période fixe initiale de 12 mois normalement – quand l’interprète fera son premier album – suivie par plusieurs périodes d’option, aussi normalement de 12 mois, permettant aux labels d’étendre le contrat s’ils le souhaitent. Il y aura un engagement minimum pour chaque période, requérant que l’interprète fournisse un certain nombre de morceaux, d’un standard élevé et exploitable, avec peut-être un total de cinq à six albums attendus sous ce deal.
Les avances sont des sommes d’argent payées à l’interprète en raison de redevances futures, dans une transaction de label traditionnel. Elles sont payées quand le talent signe avec le label, et de nouveau quand de nouvelles options sont exercées.
Si le contrat d’enregistrement traditionnel est bien négocié par l’avocat représentant l’artiste, les avances seront uniquement repayées par l’interprète quand ses ventes de disques génèreront suffisamment de redevances pour les couvrir; sinon, le label supporte la perte. Dans un deal traditionnel, le talent est payé des redevances basées sur les ventes de disques. Dans un deal typique avec une major, l’artiste va gagner entre 10 et 25 pour cent du prix au détail du disque, qui peut être entre 8,40 Euros et 11 Euros l’unité. Avant qu’ils ne voient de l’argent, les groupes de musique devront recouvrer les coûts d’enregistrement, les avances et normalement 50 pour cent de tous les coûts vidéos. Le label fera des déductions additionnelles, réduisant le taux de redevance réel d’autant. Les déductions standard incluent une déduction pour le packaging entre 20 et 25 pour cent sur les CDs, un taux de redevance réduit sur les ventes étrangères et dans les clubs de musique, une redevance réduite sur les albums dont la publicité est faite à la télévision, et souvent aucune redevance du tout sur les produits gratuits (les disques donnés aux détaillants et aux médias). Dans l’ensemble, un artiste peut n’être payé que sur 90 pour cent des ventes actuelles, étant donné que les détaillants peuvent renvoyer les disques qu’ils ne vendent pas. Le label garde une portion des redevances de l’artiste, normalement 10 pour cent, comme réserve, jusqu’à ce que toutes les ventes aient été vérifiées. En outre, l’interprète doit payer la redevance du producteur à partir de sa propre part de redevance: par exemple, si le producteur est payé un pourcentage de redevance de 3 pour cent et l’artiste 15 pour cent, alors l’artiste va finir avec un taux actuel avant déductions de 12 pour cent (le producteur, toutefois, va gagner ses 3 pour cent dès la première vente de disque, alors que l’interprète ne sera payé qu’après que les déductions et toute avance en espèces n’aient été recouvrées).
En réalité, la plupart des ‟déductions” sont artificielles et ne reflètent absolument pas le vrai coût pour le label. Le packaging des CDs fabriqués en volume est peu cher. De manière similaire, étant donné que la plupart des albums sont vendus par les canaux numériques, une réserve pour les invendus et la distribution de produits numériques gratuits cessent d’avoir du sens, à part celui de booster les profits du label.
Ce qui veut dire que, aujourd’hui, de nombreux interprètes refusent tout simplement de signer ce qu’ils pensent être un deal traditionnel obsolète et désavantageux, même avec une major, et préfèrent soit sortir eux-même leurs albums – en utilisant comme levier les médias sociaux pour cibler leur audience et leurs fans, tel que le groupe de hip hop très brillant Macklemore & Ryan Lewis, dont le premier single Thrift Shop a gravi la position de numéro un sur le classement américain Billboard Hot 100 en 2014 (la première chanson depuis 1994 qui a atteint la première place sans le support d’une major aux Etats-Unis) – ou contemplent des deals alternatifs avec les labels qui répondent mieux à leurs attentes, aspirations et sens de l’équité.
Selon certaines sources, Macklemore & Ryan Lewis ont signé avec leur propre label, Macklemore LLC, mais ont un deal avec Warner Bros. Records, selon lequel la major a droit à une portion de leurs ventes en échange du financement de la distribution de leur premier album, the Heist. Parlant de ce deal, Macklemore a dit à l’époque que ‟Warner n’avait jamais fait cela. C’est ce qui est intéressant en ce qui concerne l’industrie de la musique en ce moment: vous avez des majors qui sont prêtes à adopter des approches non-conventionnelles parce que l’ancien modèle est en train de s’effondrer. Elles y sont ouvertes”[6].
En effet, si les majors veulent continuer à signer des interprètes talentueux nouveaux ou expérimentés, elles doivent devenir plus flexibles quand elles négocient les contrats d’enregistrement. En outre, les majors doivent comprendre que leur force réside dans un réseau de distribution global, à fort impact et de grande portée ainsi que dans les importantes économies d’échelle qu’elles font, grâce à leur business model de conglomérat, qui est structuré autour de douzaines, même de centaines, de labels filiales qui partagent ensemble des services de promotion, fabrication, RP, nouveaux médias, ventes et marketing.
1.2. Transaction de profit net (‟net profit deal”)
En parlant de contrats d’enregistrement alternatifs, c’est là que la transaction indé appelée ‟profit net” (‟net profit”) entre en jeu.
Comme mentionné ci-dessus, un label indépendant est un label d’enregistrement qui n’est pas affilié avec une major et qui utilise des distributeurs indépendants et/ou des méthodes de distribution digitale pour avoir leurs morceaux dans les magasins, tant en ligne que dans les détaillants en dur traditionnels.
La transaction profit net, proposé par les labels indie, a rapidement cru dans son utilisation, comme alternative à un type traditionnel de deals d’enregistrement, au début du 21e siècle.
Pour calculer les profits net dans une transaction de profit net, la maison de disques déduit ses actuels coûts et débours relatifs à l’enregistrement, la fabrication, la promotion, le marketing, etc. Certains labels déduisent en outre des frais généraux de 10 à 15 pour cent des revenus bruts de vente de disques. Après que la maison de disques ait déduit toutes ces dépenses et se soit remboursée, le label paye alors les interprètes le pourcentage prévu par le contrat sur les profits (normalement 50 pour cent des profits net).
Bien que ce pourcentage soit évidemment beaucoup plus large que les 10 à 25 pour cent de la fourchette de redevances mentionnée ci-dessus pour les transactions traditionnelles d’enregistrement, l’interprète dans une transaction de profits net va obtenir 50 pour cent des revenus provenant des disques vendus, mais seulement de ce qui reste après que toutes les dépenses aient été payées. Dans les transactions d’enregistrement traditionnelles, d’un autre côté, l’interprète commence à recevoir des redevances après que le label ait recouvré tous les coûts d’enregistrement – et toute avance en espèce faite à l’artiste – des redevances de l’interprète. Les majors absorbent la plupart des autres coûts de leurs propres poches – tels que les coûts de duplication, de transport et de personnel – et ces coûts n’entrent pas dans les calculs relatifs à ce qui doit être payé à l’artiste.
Dans la plupart des transactions de profits net, un label n’a pas à payer l’artiste quoi que ce soit (ni avances généreuses ni, dans de nombreux contrats, de redevances mécaniques provenant des téléchargements internet ou des ventes physiques) jusqu’à ce que le label ait recouvré tous les coûts qu’il a avancé. Cela est, bien sûr, attractif pour les labels, particulièrement dans le climat actuel du business de la musique où le soucis le plus grave pour les labels indé sont les coûts à avancer et juste tenter de survivre financièrement.
Cet avantage doit être mis en balance avec le pendant – c’est à dire que, si l’album a du succès et que les coûts sont relativement bas en comparaison, alors le deal de profit net sera moins profitable pour le label que ce serait le cas dans une transaction d’enregistrement traditionnelle.
Comme dans une transaction d’enregistrement traditionnelle, la situation de défaut dans une transaction de profit net est que l’accord d’enregistrement prévoit que le label est le propriétaire du droit d’auteur des performances enregistrées durant la durée du contrat d’enregistrement, par le biais d’une cession de droit d’auteur. Dans les cas où l’artiste est capable d’obtenir une réversion de la propriété des performances enregistrées contractuellement via une négociation (un fait qui n’arrive normalement que pour les plus importantes superstars ou dans le cas de contrats de licence des masters préexistants), ce droit est souvent assujetti au fait que la maison de disques ait recouvré tous les coûts payés pour le compte de l’artiste.
Presque tous les labels, lorsqu’ils signent une transaction avec un interprète, vont insister pour obtenir le droit de gérer le produit de l’artiste non seulement dans le médium physique, mais aussi voudront avoir le droit de distribuer et de vendre les enregistrements de l’artiste dans le médium digital à travers les points de vente tels que iTunes et YouTube, y compris les téléchargements sur les ordinateurs et sur les produits mobiles tant pour les téléchargements de morceaux entiers que pour les sonneries de portables, de rappels et autres utilisations sans fil. Dans une transaction traditionnelle avec un label, la plupart des labels qui travaillent sur la base de redevances vont tenter de maintenir le paiement de redevances seulement à l’artiste, de la même manière qu’une redevance est payée sur une vente physique, mais généralement sans prendre en compte les déductions relatives au packaging et aux produits gratuits, puisque ces éléments ne sont pas pertinents. Le paiement à l’artiste d’une redevance de 15 pour cent sur un téléchargement de 99 centimes (c’est à dire 15 centimes), plus des redevances mécaniques légales, laisse une jolie marge pour le label, avec le téléchargeur et utilisateur d’un service de musique digitale payant le label 70 centimes sur le téléchargement. Toutefois, dans une transaction de profit net, l’artiste obtiendra beaucoup plus qu’un niveau de redevances de 15 pour cent. Sur un partage de 50-50 du net, l’artiste va recevoir à peu près 25 centimes plus les droits mécaniques, alors qu’avec une transaction de redevances traditionnelles, l’artiste va recevoir seulement 15 centimes plus les droits mécaniques.
Étant donné que les revenus du digital sont la section des revenus de la musique qui augmentent le plus vite et de manière exponentielle[7], il est fort à parier que les interprètes vont de plus en plus être attirés par l’option des transactions de profit net, qui assure un partage 50-50 sur les revenus du streaming et du téléchargement, plutôt que par l’option d’un contrat d’enregistrement traditionnel.
Des interprètes, tels que Eminem et ‟Weird Al” Yankovic, ainsi que des managers, tels que 19 Entertainment fondé par le magnat de la musique Simon Fuller, ont rapidement porté cette problématique relative au partage des revenus sur les profits découlant du digital à l’attention du public général, en assignant en justice les trois majors[8]. Les défendeurs ont ensuite transigé, consentant – dans le cadre d’accords confidentiels – à augmenter la part de profit des artistes sur les revenus du numérique, mais leur réputation a été endommagée dans le processus[9].
Étant donné qu’il y a une dichotomie claire entre le point de vue des labels selon lequel les redevances pour les téléchargements et les streams doivent être comptabilisés pour les artistes comme des ventes, et le point de vue des interprètes et de leurs sociétés de collecte de droits selon lequel un stream ou un téléchargement doit être considéré comme une ‟reproduction mécanique” ou une ‟performance” sous licence, il serait vraiment utile que les labels prennent le temps de clarifier, et entament des actions de lobbying, concernant ce sujet avec la Commission Européenne et le ‟United States Copyright Office”[10]. En effet, la Commission Européenne planifie en ce moment d’examiner si elle droit légiférer concernant la définition des droits de ‟communication au public” et de ‟mise à la portée du public” en droit d’auteur, ainsi que d’évaluer le rôle des mécanismes alternatifs de résolution des disputes. Tant les majors que les labels indé devraient joindre leurs forces, afin de faire du lobbying auprès de la Commission Européenne et des autres institutions européennes et américaines, concernant cette problématique relative à la définition des revenus numériques en droit, (licence ou ventes ou un hybride des deux?) puisque ce point seul pourrait sérieusement impacter leurs revenus globaux futurs, qui seront de manière croissante générés par les revenus du digital.
1.3. Transaction à 360°
Une transaction à 360° est une aubaine pour tout label. Largement favorisé par les majors, une transaction à 360° a deux éléments:
- la première partie d’un contrat à 360° est relative aux ventes de disques et comprend, en essence, les mêmes termes que ceux d’un deal d’enregistrement traditionnel, et
- la seconde partie d’un contrat à 360° donne au label le droit de recevoir un pourcentage sur certains autres flux de revenus sur lesquels les labels n’ont pas historiquement eu accès, tels que les revenus provenant du touring et du merchandising d’un artiste ainsi que les revenus provenant des compositions d’un artiste et de l’édition musicale (si l’interprète est aussi un auteur-compositeur).
La première transaction à 360° qui a été publicisée est celui du contrat de Robbie Williams avec la major maintenant défunte EMI en 2002[11]. Des actes tels que les Pussycat Dolls et Paramore ont aussi été décrit dans les médias comme ayant signé des transactions à 360° et, en 2007, il a été confirmé que Madonna avait signé une transaction à 360° de USD120 millions avec la société de promotion de concerts Live Nation. Il a été dit que, en échange de cash et d’actions, Madonna a accordé à Live Nation les droits de distribution pour 3 albums futurs ainsi que des droits pour promouvoir les concerts live, vendre le merchandising et licencier son nom et son image.
Bien que vendre une transaction à 360° auprès d’un artiste puisse paraître difficile, les majors et leurs filiales justifient leur offre d’un contrat à 360° en citant les investissements importants qu’elles font dans la carrière d’un artiste ainsi que le déclin dramatique des revenus provenant de la vente de musique enregistrée. En se tenant aux faits, il est exact que les revenus provenant des ventes de la musique pré-enregistrée ont atteint leur sommet en 1999 à approximativement USD14,5 milliards. En 2012, ce montant avait diminué à approximativement USD7 milliards – un déclin de plus de 50 pour cent, en ne tenant pas compte de l’inflation.
Selon le paradigme traditionnel, le label payait l’interprète une petite redevance, qui était même encore réduite après toutes les déductions. Ainsi, l’artiste pouvait espérer ne recevoir strictement aucune redevance d’enregistrement, à moins que son album soit un succès commercial majeur. Toutefois, l’interprète pouvait garder tout le reste: l’édition, le merchandising, le touring, les contrats de partenariat avec les marques, etc.
Étant donné que les interprètes, tout particulièrement aux Etats-Unis où le marché physique est moribond et où aucun droit voisin n’est payé sur les diffusions terrestres, génèrent souvent plus d’argent d’autres activités que les ventes de disques et la diffusion, les labels major et indé ont insisté pour obtenir une part du butin, en concoctant les transactions à 360°. Par exemple, le tour Monster Ball de Lady Gaga a généré des revenus du touring de plus de USD227 millions, et le contrat de partenariat entre 50 Cent et Vitamin Water est devenu de l’or en barre lorsqu’il a accepté des actions dans la société en échange de l’autorisation de l’utilisation de son nom professionnel dans ‟Formula 50”: quand Coca-Cola a acheté la maison-mère de Vitamin Water, Glacéau, pour USD4,1 milliards, la part d’actionnariat de 50 Cent a été évaluée à plus de USD100 millions.
Ces exemples ont incité les labels à tenter de participer dans toutes les sources de revenus possibles générées par l’artiste. Même les petits labels, connus comme étant des sociétés de production, entrent dans l’arène et insistent pour que les nouveaux artistes signent des transactions à 360° avec eux, même s’ils investissement peu ou pas d’argent dans l’enregistrement et ne font aucune promesses en ce qui concerne le marketing ou la promotion, tout en obtenant une cession de droit d’auteur sur les masters d’enregistrement!
Il n’y a pas de contrat à 360° standard étant donné que les termes varient de manière substantielle de transaction en transaction, et de label en label. Beaucoup dépend du ‟track record” et du pouvoir de négociation de l’artiste, ainsi que du montant de l’avance qui a été payée.
Une transaction à 360° ‟complète” permet au label de partager tous les revenus de l’industrie de l’entertainment, y compris le touring, l’édition musicale, le merchandising, les endorsement de produits, les revenus d’édition de livres (si l’artiste écrit un livre), les revenus de la composition et de l’édition musicale (si l’artiste est un auteur-compositeur), etc.
Habituellement, la part du label dans ces sources de revenus non liés à l’enregistrement est dans une fourchette comprise entre 10 et 20 pour cent, mais pour les nouveaux artistes cela peut monter à 50 pour cent. Un contrat concernant une transaction à 360° typique mentionne les partages suivants, en relation avec la portion du label sur les différents flux de revenus:
- 50 pour cent pour le merchandising;
- 25 pour cent pour le touring et les performances live;
- 25 pour cent sur les ‟produits numériques” tels que les sonneries de portables et les ventes provenant du site fan de l’artiste;
- 25 pour cent pour l’édition;
- 25 pour cent pour les contrats d’endorsement, et
- 25 pour cent pour tout autre revenu provenant du business de l’entertainment y compris les apparences à la télévision et dans les films, au théâtre, l’édition de livres, etc.
Aujourd’hui, les majors et leurs filiales demandent normalement des termes à 360°, tout particulièrement quand elles travaillent avec des artistes émergeants. Ainsi l’artiste peut ne pas avoir beaucoup de choix, tout particulièrement si sa stratégie est d’utiliser comme levier les canaux de distribution considérables et les économies d’échelle offerts par une major, afin d’accéder à un succès rapide et de grande portée.
1.4. Le contrat d’enregistrement dans le monde de l’EDM: toujours le ‟wild west”
En 2010, l’acronyme ‟EDM” a été adopté par l’industrie et la presse musicales, pour décrire la musique de dance électronique, la musique de club ou la scène ‟dance”, de plus en plus commerciale.
Les interprètes majeurs dans l’EDM, appelés DJs, tels que David Guetta, Deadmau5, Calvin Harris, Steve Aoki, Avicii ou Skrillex, font souvent des concerts sur les scènes principales durant les dernières soirées de festivals de haut profil tels que Lollapalooza ou Coachella et, en décembre 2015, l’EDM a été décrite comme une industrie d’une valeur globale de USD6,2 milliards[12]. En substance, l’EDM est un des genres les plus lucratifs dans l’industrie musicale aujourd’hui.
Alors que les DJs les plus connus peuvent demander entre 60.000 Euros à 260.000 Euros par apparition – avec presque aucun frais -, les transactions d’enregistrement relatives aux morceaux d’EDM qui sont joués par ces DJs durant ces concerts live sont soit inexistentes, soit terriblement pro-label.
Par exemple, en 1996 l’interprète et auteur-compositeur CoCo Star (dont le vrai nom est Susan Brice) a sorti le morceau ‟I need a miracle” sous le label Greenlight Recordings aux Etats-Unis, qui est devenu un succès dans les clubs. Il a été ensuite re-enregistré et re-sorti sur le label d’EMI Positive au Royaume-Uni un an après. En 1999, un DJ britannique a fait un ‟mash-up” avec le chant de Brice à partir d’une chanson du groupe allemand Fragma intitulé ‟Toca Me”. Le ‟mash-up” est sorti sans la permission de Brice sur un label pirate et alors même qu’elle n’a jamais été payée. Cela a généré du buzz dans les clubs, et Fragma a sorti sa propre version du piratage, ‟Toca’s Miracle”, sur Tiger Records en Allemagne et Positive au Royaume-Uni en 2000. C’est devenu le hit n.1 dans 14 pays dans le monde. Alors que ‟Toca’s Miracle” a apparemment été vendu à plus de 3 millions d’exemplaires, Brice dit n’avoir jamais été payée pour aucun de ces remixes. Elle rajoute que son chant a été crédité à Fragma, alléguant qu’un imposteur se faisant passer pour la chanteuse a collecté ses redevances de diffusion radio auprès de PPL depuis 2013! Tiger Records clame posséder le droit d’auteur sur la chanson ‟Toca’s Miracle” mais n’a jamais produit aucun accord, aucune licence ou cession de droit au label de Brice, Universal Music[13].
Alors que les majors et les gros labels indé peuvent être un peu difficiles à convaincre pour entrer le secteur underground – et bourré de drogues – de l’EDM, il y a une opportunité non-exploitée ici qu’ils ne peuvent continuer à ignorer. Le public veut et est prêt à payer pour l’EDM, l’EDM est maintenant une industrie globale valant entre USD6,2 milliards et USD6,9 milliards[14] et c’est encore largement un Eldorado non exploité par les labels reconnus, ce qui veut dire que les meilleurs interprètes pourraient préférer cibler d’autres genres musicaux ‟plus respectables” par peur de se ‟faire avoir” par les labels pirates qui peuplent actuellement la scène de l’EDM.
1.5. La transaction de services de label (‟label services”): à la carte et en vogue
A l’autre extrémité du spectre d’une transaction à 360°, existe la transaction de services de label qui est une proposition très attractive pour les artistes qui sont les plus malins dans le business. En effet, la montée des médias sociaux, de la distribution numérique, des plateformes en ligne et de la technologie direct-au-consommateur a donné du pouvoir aux artistes comme jamais avant et les ont amené plus prêts de leurs fans.
Le modèle des services de label chamboule complètement le contrat d’enregistrement: au lieu de céder le droit d’auteur dans leurs enregistrements musicaux en échange du paiement d’une avance immédiate et du label responsable pour le paiement des frais de publicité et de marketing, les interprètes recevront la part du lion en redevances (souvent 100 pour cent) de la sortie d’un morceau et vont payer une société pour une palette de services provenant d’un menu à la carte de promotion, distribution, marketing, presse et une large gamme d’autres services essentiels[15].
De manière intéressante, le modèle des services de label n’est pas seulement réservé aux artistes avec assez de capital derrière eux pour financer une campagne entière et avec une base de fan déjà établie permettant d’assurer un retour sur investissement décent. Cette transaction de services est aussi utilisé par les maisons de disques, comme une manière rapide et pratique pour établir un bureau à l’étranger, pousser les sorties dans des territoires internationaux après un succès domestique, ou tout simplement pour augmenter leur fonctionnalité en interne avec de nouvelles compétences disponibles à la demande.
Bien que cela soit une idée relativement nouvelle dans l’histoire de l’industrie de la musique, le nombre de sociétés offrant des services tant aux artistes qu’aux labels a explosé, rendant le secteur particulièrement concurrentiel.
PIAS Artist & Label Services, Believe Digital, Republic of Music sont certains des sociétés de services de label qui existent, avec les agrégateurs, tels que The Orchard (qui est aujourd’hui détenu à 100 pour cent par la major Sony Music Entertainment), et les sociétés détenues par les majors, telles que Caroline International d’Universal, RED de Sony et ADA de Warner, très actives sur ce marché. Le vainqueur du Trophée 2015 Music Week Caroline International est un nouveau venu sur le marché des ‟services de label”, n’ayant vraiment commencé à sortir des albums qu’en janvier 2014. Bien que le co-Directeur Général de Caroline, Michael Roe, souligne que sa société est indépendante d’Universal, il reconnaît que la major a permis à Caroline d’être entrepreneuriale, grâce au pouvoir financier de la major, et a fourni un effet de levier commercial massif ainsi que des réseaux dans tous les marchés.
Même les groupes de gestion de droits indépendants, tels que Kobalt et Fintage House[16], élargissent leurs offres, rajoutant les services de label à leur portefeuille. Kobalt en particulier, joue la carte de la transparence avec brio, en indiquant sur son site internet les caractéristiques clés de ces contrats ‟nouveaux modèles” de Kobalt, en les contrastant avec les termes clés d’un deal de label traditionnel[17]. Par exemple, alors que la durée d’un contrat de services de label est de 3 ans avec Kobalt, un deal traditionnel aura une durée de 7 ans (pour une licence, un cas rare) à la durée de vie du droit d’auteur. Alors que les interprètes cèdent leur propriété et contrôle sur leurs enregistrements, dans un deal traditionnel, Kobalt souligne que les artistes retiennent l’entière propriété et contrôle de leurs enregistrements. Alors qu’un deal traditionnel fournit une comptabilité semi-annuelle avec le minimum de détails, dit Kobalt, il s’engage à fournir une comptabilité trimestrielle avec des détails ligne-par-ligne sur chaque type de revenus. Et la cerise sur le gâteau: alors qu’une transaction traditionnelle ne prévoira rien concernant la collecte de droits voisins, Kobalt collectera et payera aux artistes la portion du label sur les revenus générés par les droits voisins!
Qu’est-ce que l’on ne peut pas aimer? Bien sûr, les interprètes majeurs adorent l’offre de Kobalt et 50 Cent, Paul McCartney, Boy George, Busta Rhymes, Maroon 5, Skrillex, Courtney Love, Dr Luke, Max Martin et Foo Fighters ont tous sauté le pas et adhéré aux services de label de Kobalt.
Personnellement, je ne suis pas étonnée que ce soit une société détenue par des fonds de capital-investissement, telle que Kobalt[18], qui délivre à ce jour certains des meilleurs deals de label au talent, en ce qui concerne la transparence, l’impartialité et la redistribution des droits voisins et des revenus du digital: Kobalt n’est pas géré par des personnes du monde de la musique!
Si les majors veulent faire la danse du ventre de manière efficace devant des artistes légendaires, aujourd’hui, elles doivent s’améliorer en termes de transparence, redistribution des revenus numériques, d’audit et de reporting des revenus[19]. Leurs vieux tours pourraient marcher sur les jeunes artistes, qui souhaitent devenir riches rapidement, mais les interprètes expérimentés ne contempleront jamais une transaction à 360° ou une transaction traditionnelle dans le contexte actuel – tout particulièrement parce qu’ils ont le ‟cash” pour auto-financer leurs campagnes de distribution et de marketing à travers les sociétés de services de label telles que Kobalt. Ce qui intéressent ces interprètes, est de garder leurs droits sur leurs enregistrements et leurs catalogues et de monétiser ces droits au maximum, à travers l’édition musicale, les droits voisins, les revenus issues de la diffusion et des performances mécaniques.
2. Les labels de musique et les prestataires de services numériques: des rapports complexes
Comme mentionné ci-dessus, le problème majeur que les artistes et leurs managers expérimentent avec les labels et les fournisseurs de services numériques est le manque de transparence, tout particulièrement dans le domaine des revenus du numérique et des droits voisins.
Les fournisseurs de services numériques (‟FSNs”) sont des sociétés technologiques fournissant des services d’abonnement de streaming musical. Apple Music, Spotify, Deezer, Tidal, et YouTube Red qui appartient à Google, sont certains des FSNs les plus importants dans le secteur du streaming musical[20].
Les enjeux augmentent constamment, avec les revenus du numérique – qui comprennent les sommes perçues tant sur les téléchargements que sur le streaming – en croissance de 6,9 pour cent et atteignant USD6,9 milliards en 2014, et maintenant au même niveau que les revenus du secteur physique. En effet, au niveau global, tout comme les ventes en format physique, les revenus du numérique maintenant comptent pour 46 pour cent des revenus totaux de l’industrie musicale. Dans 4 des 10 marchés mondiaux, les canaux numériques (streaming et téléchargements) comptent pour la majorité des revenus (c’est à dire 71 pour cent des revenus totaux de l’industrie en 2014 aux Etats-Unis; 58 pour cent des revenus totaux de l’industrie en 2014 en Corée du Sud; 56 pour cent des revenus totaux de l’industrie en 2014 pour l’Australie et 45 pour cent des revenus totaux de l’industrie en 2014 pour la Grande-Bretagne).
En particulier, le streaming devient de plus en plus fort, avec les services d’abonnement musicaux numériques – y compris gratuit-pour-le-consommateur – croissant de 39 pour cent en 2014, alors que les ventes du téléchargement déclinent, de manière prévisible, de 8 pour cent mais sont restées néanmoins une source de revenus essentielle étant donné qu’elles représentent toujours plus de la moitié des revenus du numérique (52 pour cent). Toutefois, les revenus générés par les abonnements du streaming compensent les ventes de téléchargement en déclin pour faire progresser les revenus totaux du numérique, poussant l’abonnement au coeur du portefeuille commercial de l’industrie musicale, représentant 23 pour cent du marché numérique et générant USD1,6 milliards en revenus commerciaux.
L’analyste de l’industrie musicale Mark Mulligan prédit que le streaming et les abonnements vont croître de 238 pour cent depuis les niveaux de 2013, pour atteindre USD8 milliards en 2019, avec les revenus des téléchargements déclinant de 39 pour cent. Il conclut en disant que le streaming et les abonnements vont représenter 70 pour cent de tous les revenus numériques d’ici 2019.
Universal Music Group (‟UMG”) capitalise sur la croissance du streaming avec un flair impeccable, en nommant Jay Frank, cadre de l’industrie musicale et des médias, qui a fondé les sociétés musicales et de marketing analytique DigSin et DigMark, au nouveau rôle de ‟Senior Vice President” de ‟Global Streaming Marketing”[21]. Son rôle sera d’obtenir que les interprètes d’UMG soient sur les ‟playlists”, en particulier grâce à Digster, une société qui créé des playlists thématiques contenant surtout des enregistrements MHG.
Alors que cette évolution vers plus de streaming musical est très favorable au consommateur (qui ne veut pas avoir l’option de sélectionner et potentiellement écouter des millions de chansons, partout dans le monde, sur un objet pas plus gros que la taille d’une poche de jean?), de nouvelles problématiques juridiques et commerciales sont apparues en retour.
En particulier, les titulaires de droits dans l’enregistrement d’une composition musicale– en général, le label, l’artiste-interprète qui a fait l’enregistrement et les musiciens non-cités ainsi que les vocalistes – se demandent constamment comment ils bénéficient financièrement de cette augmentation de la consommation en streaming et des revenus du streaming. Comment sont-ils payés?
En outre, de plus en plus de FSNs veulent savoir comment accéder à du contenu musical de haute qualité et obtenir le droit de streamer les catalogues musicaux les plus larges sur leurs plateformes, à un prix raisonnable. Etant donné qu’une stratégie de ‟scaling up” est la clé du succès pour toute société technologique, les FSNs veulent aussi avoir le droit de streamer ce contenu musical partout dans le monde.
Enfin, alors que l’augmentation dans la consommation et des revenus du digital musical est devenue une évidence factuelle, certaines catégories de flux de revenus sont en train de développer et de prendre un rôle plus prépondérant. Par exemple, les droits de diffusion des enregistrements de phonogrammes, ou ‟droits voisins”, sont une source globale de revenus pour les artistes-interprètes et les labels. Alors que les ventes musicales de produits physiques ont déclinées de 66 pour cent depuis leur pic de 1999, les revenus de l’ensemble des droits voisins ont augmenté de manière exponentielle, atteignant 2.034 milliards d’Euros globalement en 2013. Les droits musicaux représentent à peu près 90 pour cent des redevances collectées en relation avec les droits voisins. Les droits audiovisuels valent à peu près 200 millions d’Euros, bénéficiant surtout les interprètes, alors que le reste de ces redevances (à peu près 1.834 milliards d’Euros) sont reliées aux droits voisins musicaux. Ou vont ces droits voisins? Comment sont-ils collectés puis distribués?
2.1. ‟Streaming equity”
Comme remarque préliminaire, il est utile de noter que les labels, en particulier les majors, ont été très rapides pour renouveler leur poigne sur la distribution musicale: elles ont investi massivement dans les FSNs, dès que l’opportunité se présentait.
Par exemple, Warner Music Group a acquis plus de 5 pour cent de Soundcloud en octobre 2014[22], et Warner, Universal et Sony ont obtenu en douce des participations dans les services de streaming numériques les plus en vogue, tels que Spotify et Rdio mais aussi dans le fournisseur de vidéos musicales Interlude et le géant de la reconnaissance musicale Shazam – évalué à USD1 milliard durant leur dernier tour de table.
Qu’est-ce que les labels ont donné aux jeunes pousses FSNs, outre une certaine légitimité, afin d’obtenir ces ‟sweet deals”? Un accès global aux artistes et leurs morceaux. Comme expliqué au point 2.3. (Droits voisins et diffusion numérique des enregistrements de phonogramme) ci-dessous, les artistes dérivent un montant minimal de redevances de ces nouveaux canaux de distribution, mais ils n’obtiennent aucune part dans la propriété de ces FSNs en retour.
Jusqu’à février 2016 tout du moins, quand, durant la dernière conférence téléphonique avec ses investisseurs, le PDG de Warner Music, Stephen Cooper, a annoncé que le label allait payer ses artistes-interprètes une portion des revenus qu’il allait gagner de son actionnariat dans des services tels que Spotify et Soundcloud. Avec Spotify planifiant l’annonce de son introduction en bourse durant le second trimestre de 2016, un tel engagement de la part de Warner est plus qu’un geste symbolique, alors qu’il détient une part de 2 à 3 pour cent dans l’actionnariat de Spotify, qui sera probablement évalué à à peu près USD200 milliards.[23]
C’est un coup de relations publique très malin de la part de Warner parce que cela signifie que cette major comprend qu’elle doit avoir tous ces artistes-interprètes de son côté, en ce qui concerne les services de streaming.
Le streaming est la direction dans laquelle le comportement des consommateurs et leurs affinités vont, mais à ce jour YouTube, qui appartient à Google, croît plus rapidement que tous les autres, alors que les labels ont besoin de services premium et ‟freemium” pour couvrir la distance rapidement. Ce qui est la raison pour laquelle les labels ne peuvent pas se permettre que le flux Black Keys-Taylor Swift-Adele-Coldplay-Radiohead soit converti en un torrent gratuit accessible à volonté aux fans. Ils ont besoin que les artistes soient engagés autant qu’eux dans le streaming et les FSNs.
Il sera intéressant de voir si Sony et Universal vont suivre, en ce qui concerne le partage du ‟streaming equity” avec leurs groupes respectifs.
2.2. ‟Breakage”
En mai 2015, le magazine Verge révélait les détails d’un contrat signé entre la major Sony Music Entertainment et le FSN Spotify, donnant au service de streaming une licence pour utiliser le catalogue de Sony [24].
Le contrat de licence de 42 pages a été signé en janvier 2011, rédigé par Sony Music et a révélé que Spotify a dû payer USD42,5 millions en avances annuelles à Sony pendant les deux années du contrat. Il détaillait en outre les objectifs d’abonnement que Spotify devait atteindre et comment les taux de streaming étaient calculés. Encore plus intéressant, le contrat détaillait comment Sony a utilisé la clause ‟Most Favoured Nation” afin de s’assurer que ses avances annuelles ne soient jamais inférieures à celles faites à d’autres labels, comment Spotify pouvait garder jusqu’à 15 pour cent des revenus ‟off the top” provenant de ventes de publicité faites par des tiers, et la formule complexe qui détermine combien les labels sont rémunérés par stream. Ce que le contrat entre Sony et Spotify ne prévoyait pas était ce que Sony pouvait faire, et ferait, avec l’argent provenant des avances. Est-ce que cet argent irait dans le lot devant être partagé entre les artistes de Sony Music, ou est-ce que la major garderait tout pour elle-même?
Ces révélations ont causé une onde de choc dans l’industrie de la musique, avec les artistes et leurs managers extrêmement agacés parce qu’ils s’étaient déjà plaints de ce que recevoir en moyenne seulement moins d’un centime par stream – entre USD0,006 et USD0,0084 selon Spotify Artists[25] – n’était ni raisonnable ni juste. Les meilleurs talents, tels que Taylor Swift et Radiohead, en particulier, sont sortis de Spotify avec fracas, en 2014 et 2013 respectivement, se plaignant de ce que les consommateurs ne payaient pas assez pour accéder leurs catalogues sur Spotify.
Mais ceci est juste une des raisons pour lesquelles les artistes n’étaient pas beaucoup payés par stream, l’autre raison étant le ‟breakage”: en effet, les FSNs, qui sont toujours à l’affût de catalogues musicaux de qualité et de contenu à streamer pour leurs clients ‟retail”, ont payé promptement d’importantes ‟garanties de revenus minimum” aux labels, durant ces dernières années, afin d’obtenir accès à, et afin d’obtenir en licence, leurs enregistrements musicaux.
Par exemple, le service de streaming français Deezer, qui planifiait d’organiser une introduction en bourse (qui a maintenant avorté) à Paris durant le dernier trimestre de 2015, a révélé dans ces papiers d’enregistrement délivrés à l’Autorité des Marchés Financiers, qu’il avait payé une avance de 257 millions d’Euros aux labels par tranches sur une période de 3 ans (2012: 57,1 millions d’Euros, 2013: 87,4 millions d’Euros et 2014: 112,5 millions d’Euros). En 2013, Deezer a même dû payer 94 pour cent de son revenu totale aux sociétés de musique comme garanties minimum (c’était évident que cette IPO allait capoter)! En attendant, les redevances provenant des abonnements et des publicités ont généré beaucoup moins que ces paiements d’avance en 2012, 2013 et 2014 – générant un total approximatif de 236,4 millions d’Euros. Au total, le déficit entre les deux montants s’élevait à 20,6 millions d’Euros durant une période de 3 ans (2012: 5,4 millions d’Euros; 2013: 13,2 millions d’Euros et 2014: 2 millions d’Euros). Ce déficit de 20,6 millions d’Euros est le ‟breakage” non-distribué[26].
Ainsi, alors que le paiement d’une avance par un FSN aux maisons de disque est justifié si la plateforme de streaming génère ensuite le même ou plus de revenus par le biais d’abonnements et de publicités, le système est imparfait de manière inhérente si l’avance finit par excéder le revenu annuel des redevances du streaming. Quand cela arrive, le label se retrouve inévitablement avec une somme unique – dans ce cas plus de 20 millions d’Euros – qui dort sur les comptes bancaires de la maison de disques, mais qui ne peut être attribuée à aucun artiste en particulier.
Une des trois majors, Warner, troublée par cet état de fait, a été la première à partager ce ‟breakage” avec ces artistes-interprètes comme politique d’entreprise standard depuis 2009, attribuant même une ligne au ‟breakage” sur les relevés de redevances de leurs artistes. En outre, plus de 700 labels indé ont signé la ‟Fair Deal Declaration” du ‟Worldwide Independent Network”, qui s’engage à ‟rendre des comptes aux artistes en fournissant une part, en toute bonne foi, des revenus et autres compensations provenant des services digital”[27], et le ministère de la culture français a publié un accord volontaire en octobre 2015 demandant que les acteurs de l’industrie de la musique acceptent de partager avec leurs artistes tous les revenus reçus des services de musique en ligne et de leur garantir un revenu minimum, en retour pour une utilisation numérique de leurs enregistrements[28].
Ces réactions de la part des acteurs privé et publics de l’industrie musicale démontrent que les labels, en particulier les majors, n’arriveront pas à faire accepter qu’ils gardent égoïstement pour eux-mêmes tous les revenus générés par les avances payées par les FSNs. Soit les labels s’autorégulent, et redistribuent une portion de ces revenus supplémentaires à leurs artistes-interprètes, ou les régulateurs de l’Union Européenne – qui sont fort occupés avec la réorganisation générale en cours du droit d’auteur dans les 28 états-membres de l’UE – vont rendre une telle redistribution obligatoire, en droit, forçant les labels à redistribuer une portion du ‟breakage” ainsi que des garanties de revenus minimum à leurs talents.
2.3. Droits voisins et diffusion numérique des enregistrements de phonogramme
Les droits voisins ont été consacré par le droit, étape par étape, afin de faire en sorte que les personnes qui sont ‟auxiliaires” à la création et/ou production de contenu (les artistes, les interprètes, les acteurs, les producteurs de phonogrammes, les producteurs de films, les musiciens-accompagnateurs et les vocalistes, etc) puissent avoir plus de contrôle sur leurs efforts créatifs.
Il n’y a pas qu’une seule définition de droits voisins; ces derniers variant beaucoup plus dans leur étendue, de pays à pays, que les droits d’auteur.
Toutefois, les droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogramme et des organisations de diffusion sont couverts par les droits voisins, et sont protégés internationalement par la Convention de Rome pour la protection des artistes-interprètes, producteurs de phonogramme et organismes de diffusion, signée en 1961 (la ‟Convention de Rome”). A part la Convention de Rome, un autre traité international est relatif à la protection des droits voisins dans le secteur musical: le traité des représentations et phonogrammes de l’OMPI (‟WPPT”), signé en 1996.
Au niveau de l’Union Européenne, trois directives ont été instrumentales pour développer un cadre juridique harmonisé relatif aux droits voisins: la directive du 27 septembre 1993, relative à la coordination de certaines règles sur les droits d’auteur et les droits voisins applicables à la diffusion par satellite; la directive du 29 octobre 1993 – remplacée par la directive n. 2006/116/CE du 12 décembre 2006 – sur la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins; la directive n. 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certain aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.
Comme mentionné ci-dessus, les droits de diffusion de phonogramme (sound recording performance rights) représentent la majorité des droits voisins qui sont collectés de par le monde, et ils sont une source croissante de revenus globaux pour les artistes-interprètes et les labels de musique. Par exemple, aux Etats-Unis, SoundExchange, l’organisation responsable pour la collecte et distribution des redevances de diffusion des phonogrammes, a distribué USD590 millions en 2013, une augmentation très importante comparé aux USD3 millions que cette organisation avait distribué en 2003. Dans la décennie depuis la création de SoundExchange, l’organisation a généré USD2 milliards en redevances pour les artistes et les producteurs de phonogrammes.
Sur un total de 2,034 milliards d’Euros de droits voisins collectés en 2013, 48,9 pour cent proviennent d’Europe (1,101 milliards d’Euros), 30 pour cent d’Amérique du Nord (681 millions d’Euros), 11,9 pour cent d’Amérique du Sud (268 millions d’Euros) et 8,6 pour cent d’Australasie (192 millions d’Euros)[29].
Avec une part de 28 pour cent dans les redevances mondiales, les Etats-Unis est le marché majeur pour les droits voisins, bien que la collecte de ces droits soit limitée à la diffusion publique de phonogrammes sur des médiums numériques uniquement (tels que la radio en ligne comme Pandora, la diffusion par satellite comme Sirius/XM et aussi le streaming en ligne de transmission de radio terrestre comme iHeartRadio). A la différence de ce qui se passe dans le reste du monde, les Etats-Unis n’appliquent pas de droits de diffusion de phonogrammes à la radio diffusée sur les ondes, la radio terrestre, la diffusion dans les bars, restaurants et autres lieux publics.
Le marché des droits voisins est surtout concentré dans 10 pays, qui contrôlent 82 pour cent des redevances mondiales, avec une large concentration en Europe. A part les Etats-Unis, le Royaume Uni (12 pour cent), la France (11 pour cent), le Japon (7 pour cent), le Brésil (7 pour cent), l’Allemagne (7 pour cent), l’Argentine (3 pour cent), les Pays-Bas (3 pour cent), le Canada (2 pour cent) et la Norvège (2 pour cent), sont les 10 premiers marchés au monde. En dehors des Etats-Unis, les phonogrammes bénéficient de larges droits de performance pour la diffusion (y compris sur la radio terrestre), la représentation publique et ce que l’on appelle la communication au public.
Globalement, les droits de diffusion sur les phonogrammes sont administrés par les sociétés de licenses musicales ou les sociétés collectives. Ces organisations sont responsables de la négociation des taux et dispositions contractuelles avec les utilisateurs de phonogrammes (par exemple, les sociétés de diffusion, les établissements publics , les fournisseurs de services numériques), de la collecte des redevances et de la distribution de ces redevances aux artistes-interprètes et aux propriétaires du droit d’auteur sur les enregistrements, c’est à dire les producteurs de phonogrammes.
Il y a à peu prés 60 société de collecte de part le monde qui se focalisent sur les redevances de diffusion des phonogrammes. Ces sociétés de collecte peuvent fournir une licence statutaire aux FSNs.
Toutefois, les droits voisins dérivant des revenus du streaming générés sur les plateformes des FSNs sont presque toujours gérés directement par les maisons de disque et leurs représentants. En effet, il est important de noter que les licences statutaires ne s’appliquent pas dans les cas où il y a un accord de licence direct entre le FSN et le label. Ainsi, par exemple, les 3 majors ont chacune directement signé un accord de licence avec chacun des FSNs, alors que d’autres deals directs ont été signé entre Clear Channel, le propriétaire de la radio digitale IHeartMedia, et des labels tels que Glassnote (le label de Mumford & Sons) et Big Machine (le label de Taylor Swift). Les labels indépendants se sont groupés pour créer des agences de droits numériques globaux telles que Merlin, qui offrent l’option attractive d’une licence globale, via une transaction unique, vers les labels indé les plus importants et plus commercialement stables au monde, aux FSNs. Parmi ceux qui ont une licence avec Merlin, on peut recenser Soundcloud, Vevo, Google Play, Deezer, YouTube et Spotify.
En 2014, la radio internet Pandora a signé son premier deal direct avec des labels, en dehors du régime statutaire, en établissant un partenariat avec Merlin[30]. En attendant, l’organisation de collecte des droits voisins SoundExchange garde une poigne de fer sur Pandora, estimant que les USD0,0014 payé par Pandora aux labels pour chaque stream est trop bas et devrait être augmenté à USD0,0025. En conséquence, en décembre 2015, le ‟US Copyright Royalty Board” a augmenté le taux de base par morceau payé par Pandora (et ses concurrents tels que iHeartRadio) à USD0,0017, ou un peu au dessus de 20 pour cent. [31]
Alors que Pandora est maintenant d’accord pour signer des deals directs avec les labels, comme expliqué ci-dessus, cela ne veut pas dire que la relation cordiale est dénuée de tension: les trois majors et le RIAA ont entamé plusieurs actions en justice de violation de droit d’auteur contre Pandora et ses concurrents en 2014, parce qu’ils diffusaient des enregistrements datant d’avant février 1972 sans faire aucun paiement de redevances. Les labels ont dit que tant Pandora que son concurrent SiriusXM ont pris avantage d’un vide juridique en droit d’auteur, étant donné que l’enregistrement des masters en droit d’auteur n’a pas été créé au niveau fédéral, aux Etats-Unis, avant 1972. Toutefois, les labels arguaient du fait que leurs enregistrements de bande master étaient protégés par les lois relatives au droit d’auteur au niveau de chaque état, ce qui entraîne l’obligation de payer des redevances[32]. Plusieurs décisions de justice ont été publiées depuis, et les juridictions fédérales ont toutes jugé contre SiriusXM et Pandora, et pour le paiement de redevances en cas de diffusion d’enregistrements datant d’avant février 1972.
Étant donné que les transactions directes sont signées entre les labels et les FSNs, cela veut dire qu’il appartient aux parties d’organiser leurs arrangements contractuels de licence comme elles le souhaitent. Ces transactions de licence entre les FSNs et les labels, qui durent entre 3 et 4 ans tout au plus, n’ont, à ce jour, aucun impact sur la façon dont les contrats d’enregistrement sont signés entre les labels et les artistes-interprètes, en ce qui concerne les revenus du numérique.
En effet, la façon dont l’accord de licence entre le FSN et le label est rédigé va automatiquement avoir un impact sur la transaction d’enregistrement signée entre le label et l’interprète. Si une transaction d’enregistrement a été signée il y a plus de 4 ans, elle ne prévoira certainement pas une redistribution claire et transparente du revenu numérique à l’artiste, par le label.
Comme je l’ai mentionné en point 1.2. (Transaction de profit net) ci-dessus, les labels et les artistes-interprètes sont en train de lutter dur pour établir si le streaming remplace la radio ou les ventes. A ce jour, les labels rémunèrent de manière habituelle les artistes sur l’un de ces modèles, et plus souvent sur la base d’un stream que d’une vente. Pourquoi est-ce que les labels traitent le plus souvent le streaming comme une vente (ce qui est assez contre-intuitif étant donné que le streaming est surtout basé sur l’ ‟accès” plutôt que la ‟possession”)? Parce que, comme expliqué au point 1.2. ci-dessus, le pourcentage que les labels doivent payer aux artists est beaucoup plus bas, souvent dans une fourchette de 10 à 15 pour cent, si l’artiste est signé sur un deal traditionnel ou à 360°, plutôt qu’aux alentours de 50 pour cent pour une licence. Les exports de l’industrie musicale proposent d’assimiler le streaming à un hybride entre la vente et la licence, avec un taux hybride qui est placé entre les deux. Ce changement doublerait le montant d’argent que les plus d’artistes obtiennent grâce au streaming, transformant instantanément son impact financier pour beaucoup.
Il est fort probable que les nouvelles transactions d’enregistrement soient négociées de manière prolongée, en particulier par les artistes les plus connus, en ce qui concerne les revenus du numérique, dans le très proche future, tout particulièrement après le scandale du ‟breakage” et la controverse concernant la nature de vente ou de licence d’un stream.
3. Labels et sociétés collectives: comment percevoir des micro-paiements, partout dans le monde
Comme mentionné ci-dessus, il y a à peu près 60 sociétés de collecte autour du monde qui sont focalisées sur les redevances découlant de la diffusion des enregistrements sonores. Ces sociétés collectives peuvent fournir une licence statutaire aux lieux publics, FSNs ou radios, etc. auprès desquels elles perçoivent ensuite les redevances de droits voisins, qui sont finalement reversées aux labels, aux interprètes ainsi qu’aux musiciens de studio et vocalistes.
3.1. Comment les droits voisins sont-ils protégés et perçus sur une base territoriale?
Alors qu’il pourrait paraître que les droits voisins sont protégés et rémunérés de façon très homogène de part le monde, grâce à un cadre juridique international et européen bien structuré décrit au point 2.3 (Droits voisins et diffusion numérique des enregistrements de phonogramme) ci-dessus, il s’avère que ces droits voisins et les pratiques commerciales des sociétés de collecte sont en fait très différents et varient de territoire à territoire.
Chacune des 60 sociétés collectives opère sur un territoire qui reconnaît les représentations et diffusions de manière différente et a une pratique commerciale spécifique.
Par exemple, le ‟US Copyright Act” fournit aux titulaires de phonogrammes un droit exclusif de ‟diffuser l‘oeuvre protégée par le copyright publiquement au moyen d’une diffusion audio numérique”. Ce droit est limité par une licence légale pour les ‟diffusions audio numériques non-interactives”. Les services qui respectent la licence légale peuvent diffuser en streaming les phonogrammes sans la permission du titulaire du ‟copyright”, à condition qu’ils fournissent des données et des redevances à SoundExchange. Le ‟US Copyright Act” précise comment SoundExchange divise et distribue le redevances: 50 pour cent va au titulaire de droits sur le phonogramme; 45 pour cent est distribué à l’artiste-interprète; et 5 pour cent est envoyé à un administrateur indépendant qui distribue ensuite ces redevances aux musiciens-accompagnateurs et aux vocalistes.
Au Royaume-Uni, le ‟UK copyright, designs and patents act” fournit aux titulaires de droits sur les phonogrammes des droits de diffusion exclusifs dans leurs phonogrammes. En outre, le ‟UK copyright, designs and patents act” donne aux artistes-interprètes sur ces phonogrammes un droit à une ‟rémunération équitable” pour une portion des redevances de licence pour l’utilisation des phonogrammes. Ainsi, quand un phonogramme est diffusé au Royaume-Uni, les artistes-interprètes de ces phonogrammes ont un droit à l’encontre du producteur (c’est à dire le label de musique) du phonogramme, en pouvant prétendre à une portion des redevances du producteur provenant de cette diffusion. D’un point de vue juridique, cela est très différent du régime de la licence légale aux Etats-Unis où la part de l’artiste-interprète est due par l’utilisateur du phonogramme; non par le label de musique. Comme mentionné ci-dessus, le Royaume-Uni est le deuxième marché au monde pour les droits voisins. Selon les résultats financiers pour 2014 de la société de collecte anglaise PPL, elle a collecté un total de GBP187,1 millions de redevances de licence (provenant de sources de revenus de la diffusion, du numérique, de la représentation publique et de l’international).
En Allemagne, la Loi sur le droit d’auteur et les droits voisins fournit elle-aussi aux artistes-interprètes et aux producteurs des droits à la rémunération pour la diffusion des phonogrammes. Alors que cette loi allemande fournit aux artistes-interprètes un droit à la rémunération équitable pour la diffusion et la communication au public de leurs phonogrammes, elle alloue aux producteurs une portion des redevances de l’artiste-interprète provenant de la licence de droits de diffusion et de communication au public. Ainsi, les revenus du producteur provenant de cette activité sont prélevés auprès de l’artiste-interprète, et non auprès de l’utilisateur de phonogrammes. C’est exactement l’opposé du régime anglais et cela n’a rien à voir avec le système américain.
En France, le Code de la propriété intellectuelle fournit aussi aux titulaires de droits sur les phonogrammes des droits exclusifs de diffusion sur leurs phonogrammes, par le biais d’une licence légale. Comme aux Etats-Unis, les fournisseurs de services numériques qui respectent la licence légale peuvent diffuser en streaming les phonogrammes sans la permission des titulaires de droits, à condition de fournir des données et des redevances à la SCPP (si le producteur de phonogramme est une major), SPPF (si le producteur de phonogramme est un label indépendant), l’ADAMI (pour les artistes-interprètes) et la SPEDIDAM (pour les musiciens-accompagnateurs et les vocalistes). Le Code de la propriété intellectuelle prévoit que 50 pour cent des redevances va au titulaire de droits sur le phonogramme, alors que l’autre 50 pour cent vont aux artistes-interprètes et aux musiciens-accompagnateurs et vocalistes.
3.2. Comment les droits voisins sont-ils protégés et perçus sur une base ‟cross-border”?
Une des questions récurrentes que les artistes et les labels se posent est comment ils sont protégés d’un territoire à l’autre. En effet, la musique est un business global, surtout à l’ère du numérique: les artistes qui ont du succès sur un territoire ont souvent du succès aussi dans d’autres pays.
Un succès global suppose que les phonogrammes des artistes vont être diffusés publiquement dans d’autres territoires que ceux où ils résident. Comment, dans ce cas, les artistes-interprètes et les producteurs peuvent-ils collecter les redevances de diffusion de phonogrammes sur des territoires où ils ne sont pas résidents et dans lesquels ils pourraient ne pas avoir conclus d’accord avec les sociétés appropriées?
Les réponses sont complexes et dérivent de l’application des dispositions de la Convention de Rome et du WPPT susmentionnés[33].
L’article 2 de la Convention de Rome détaille le niveau de protection qu’il accorde aux résidents des états-contractants sur les territoires des autres états-contractants. En pratique, les états-contractants doivent aux résidents des autres territoires le même degré de protection qu’ils reconnaissent à leurs propres résidents. Ce concept de ‟Traitement National” est essentiel dans les traités internationaux sur le droit d’auteur et fonctionne de manière à assurer que les membres ne discriminent injustement les résidents d’autres états-contractants.
Les articles 4 et 5 de la Convention de Rome spécifient que les phonogrammes faits par les résidents des états-contractants, d’abord enregistrés dans les états-contractants, ou publiés d’abord dans les états-contractants, sont éligibles au Traitement National. De manière similaire, la représentation d’un artiste-interprète recevra le Traitement National si elle a été faite dans un état-contractant, incorporée dans un phonogramme protégé, ou si non-enregistrée, diffusée dans un état-contractant.
L’article 12 de la Convention de Rome prévoit la rémunération équitable pour les artistes-interprètes, producteurs (ou les deux) pour les utilisations secondaires de leurs phonogrammes (par exemple, la diffusion, la communication au public). Les Etats-Unis ne sont pas signataires de la Convention de Rome parce que, en 1961, ce pays ne reconnaissaient pas le phonogramme comme étant l’objet de droits d’auteur (c’est en 1995 seulement que les phonogrammes ont reçu un droit de diffusion publique limité au numérique aux Etats-Unis). L’article 4 du WPPT prévoient les conditions pour le traitement national prévu par ce traité. Les parties-contractantes doivent fournir aux résidents d’autres états-membres le même niveau de protection que celui accordé à leurs propres citoyens. L’article 3 du WPPT importe les critères de qualification des artistes-interprètes et des producteurs de la Convention de Rome (articles 4 et 5). Ainsi, les artistes-interprètes et les producteurs qui sont éligibles au Traitement National au titre des articles 4 et 5 de la Convention de Rome sont éligibles au Traitement National en application de l’article 3 du WPPT, comme si tous les membres du WPPT étaient des membres de la Convention de Rome. Cela assure que l’éligibilité des artistes-interprètes et des producteurs américains est analysée de la même manière, même si les Etats-Unis n’est pas signataire de la Convention de Rome. L’article 15 du WPPT détaille le droit à la rémunération équitable des artistes-interprètes et des producteurs et suit majoritairement les dispositions de l’article 12 de la Convention de Rome. Une partie-contractante peut reconnaître un droit à la rémunération équitable pour les utilisations secondaires de phonogrammes (par exemple, la diffusion, la communication au public) pour les artistes-interprètes, les producteurs, ou les deux, ou peut choisir de ne pas reconnaître ce droit du tout. Les parties-contractantes peuvent choisir de limiter leur application des dispositions de l’article 15 en déposant une notification détaillant le champs de cette limitation. De telles notifications peuvent avoir des implications sur le niveau de traitement national que les états-membres doivent aux résidents de chacun d’entres eux en application de l’article 4.
L’article 4 du WPPT requiert que les parties-contractantes fournissent un traitement national complet aux résidents des autres états-membres. Toutefois, l’article 4(2) dispose que les parties-contractantes peuvent limiter le champ du traitement national dans la mesure où une autre partie-contractante a fait une réservation au titre de l’article 15. Par exemple, parce que les Etats-Unis ne reconnaissent pas le droit de diffusion terrestre pour leurs propres citoyens ou ceux de tout autre pays, la plupart des membres du WPPT choisissent de ne pas allouer de droits de diffusion terrestres aux citoyens américains, même si ceux-ci sont reconnus pour leurs propres citoyens. Ce concept de traitement ‟égal-à-égal” est souvent appelé ‟réciprocité” et est distinct du ‟traitement national”.
Quand on cherche à maximiser le montant des redevances collectées pour les artistes-interprètes et les labels de musique à l’étranger, ces concepts de ‟traitement national” et ‟réciprocité” prennent toute leur ampleur et doivent être gardés à l’esprit. Comprendre ce qui sera susceptible d’un traitement national complet et ce qui fera l’objet d’une réciprocité limitée peut avoir un impact sur le montant des redevances de droits voisins réalisées par un artiste ou un label.
Par exemple, un artiste-interprète américain qui enregistre en Europe serait qualifié pour percevoir des redevances d’artistes-interprètes (ou un artiste-interprète européen enregistrant un phonogramme aux Etats-Unis).
L’éligibilité à la perception de redevances est souvent une analyse factuelle, au cas-par-cas, ciblée sur la nationalité des artistes-interprètes et des producteurs, où les enregistrements ont eu lieu, et où ils ont été tout d’abord édités. Savoir ces faits importants est crucial pour s’assurer que les artistes et les labels reçoivent ce à quoi ils ont droit.
Les sociétés de collecte jouent un rôle important ici: non seulement elles perçoivent les redevances auprès des utilisateurs sur leurs propres territoires et distribuent celles-ci à leurs destinataires nationaux, mais elles agissent aussi souvent pour le compte de leurs membres, artistes-interprètes et labels, pour collecter les redevances non-distribuées à l’étranger.
En particulier, PPL au Royaume-Uni, et SAMI, en Suède, ont une part de redevances internationales supérieure à 20 pour cent dans leur montant respectif total de redevances perçues. Cela s’explique par le fait que tant la musique anglaise que celle suédoise s’exportent extrêmement bien partout dans le monde. En conséquence, PPL a identifié les revenus internationaux comme une source de croissance importante et a mis en place une politique très dynamique de collecte des redevances à l’étranger, signant des douzaines d’accords de réciprocité avec des sociétés collectives soeurs.
3.3. A la carte: comment les labels sélectionnent les services que les sociétés collectives vont leur fournir
Dans son dernier rapport sur les droits voisins à l’ère du numérique, la société collective française l’ADAMI a souligné que le marché mondial des droits voisins en gestion collective devrait croître de manière exponentielle dans les futures prochaines années. Toutefois, le rapport notait que la part des redevances de diffusion publique des sons de phonogramme attribuée au numérique est toujours assez basse, à part aux Etats-Unis où les droits voisins en gestion collective proviennent uniquement de sources digitales (c’est à dire le streaming et la radio numérique).
Etant donné que de plus en plus de consommateurs utilise le streaming – à la différence des téléchargements de musique et des formats physiques -, l’ADAMI prévoit que la part des redevances de la diffusion publique d’enregistrements de phonogramme dérivant du streaming va devenir une part essentielle des revenus payés aux interprètes et aux labels.
Comme mentionné au point 2.3. (Droits voisins et diffusion numérique des sons de phonogramme) ci-dessus, la plupart des labels choisissent de négocier la collecte des droits de diffusion publique des sons de phonogramme directement auprès des fournisseurs de services numériques.
Pour l’instant, la plupart des redevances de diffusion publique des sons de phonogramme collectées par les sociétés de gestion collective proviennent de la rémunération équitable, qui est en partie liée avec les revenus de la publicité de la radio commerciale et de la TV.
Comme souligné par le co-fondateur du label indépendant de premier rang Because Group, Emmanuel de Buretel[34], les labels devraient s’enregistrer directement avec les sociétés de collecte étrangères qui gèrent les droits voisins dans les territoires clés où les enregistrements sonores sont joués, streamés et diffusés, afin d’avoir un accès plus rapide et transparent aux redevances de diffusion publique de sons de phonogramme. Par exemple, Because Group, dont la société de collecte de droits voisins principale est la SPPF, est directement enregistrée avec PPL en Grande-Bretagne et SoundExchange aux Etats-Unis, qui sont les territoires clés pour ses talents.
4. Labels, marques & agences de publicité: ‟let’s synch”!
La musique est une partie importante de projets audiovisuels tels que des films, programmes de télévision, publicités diffusées à la télévision ou sur internet, jeux vidéo et sites internet. Si importante en fait, qu’UMG a récemment nommé certains producteurs de films vétérans pour diriger son développement et sa production de projets cinématographiques, télévisuels et théâtraux[35].
Afin de pouvoir utiliser une composition musicale existante et des enregistrements de phonogramme existants dans un projet audiovisuel, le producteur du projet doit obtenir une licence de la part des personnes physiques et morales qui détiennent ou contrôlent les droits sur cette composition musicale et sur la bande-master de cet enregistrement sonore.
Ceci s’appelle une licence de synchronisation, ou une licence de synchronisation et de droits de diffusion, ou une licence d’utilisation de master et de synchronisation ou juste une licence sync. Cette licence donne le droit au producteur du projet de synchroniser la composition musicale et l’enregistrement sonore existant avec, ou de les inclure dans une séquence synchronisée avec, les images dans le projet audio-visuel.
Cette utilisation des compositions musicales et des masters d’enregistrements sonores dans les projets audiovisuels n’est pas assujettie à des procédés de licence collective ou statutaire. Chaque utilisation est librement négociée entre les parties intéressées: les propriétaires de la composition musicale et des bandes-master des enregistrements sonores d’un côté, et les producteurs de projets audiovisuels de l’autre côté.
Comme les enregistrements sonores sont normalement détenus ou contrôlés par les labels, les producteurs de projets audiovisuels négocient souvent la licence d’utilisation des masters avec eux[36].
4.1. La synch comme ‟business model” viable
Les licences d’utilisation de masters peuvent être une source de revenus importante et donner une couverture médiatique aux labels et à leurs artistes-interprètes. Dans une période de ventes de produits physiques en baisse, et toujours des revenus insuffisants provenant des téléchargements et du streaming pour couvrir la différence, les licences d’utilisation des bandes-master peuvent devenir des sources de revenus appréciées et même vitales. En particulier, à la différence des ventes et des droits voisins qui rapportent des petits montants d’argent sur une base différée, les licences d’utilisation de bandes-master rapportent souvent des paiements de sommes à l’avance, ce qui aident les besoins en fonds de roulement des labels.
Aussi, avoir un placement dans un film ou un programme de télévision veut dire que l’artiste et le label peuvent bénéficier de la promotion et du marketing afférents à ce projet, tout particulièrement si l’artiste et le label reçoivent un crédit écrit proéminent dans le projet audio-visuel et dans les publicités pour le projet, et si l’enregistrement sonore est utilisé dans des publicités audiovisuelles pour le projet (tel que dans la bande-annonce du film). Cette promotion peut générer plus de ventes physiques, de téléchargements ou de streams de l’enregistrement. En outre, un placement dans un film ou un programme de télévision à succès peut améliorer la crédibilité du label et de ses artistes-interprètes, pavant la voie pour obtenir d’autres licences d’utilisation des bandes-master pour cet enregistrement sonore ou d’autres sons de phonogramme.
Par exemple, même Adele, qui dit ouvertement qu’elle ‟ne se vendrait jamais” en endossant des produits de biens de consommation, a volontiers accepté de synchroniser sa chanson Skyfall dans le film de James Bond du même nom en 2012. Cette chanson est rapidement montée au top de Billboard Hot 100 et est devenue le premier thème de Bond à gagner aux Golden Globes, aux Brit Awards et aux Academy Awards. Elle a aussi gagné le Grammy Award pour la meilleure chanson écrite pour des médias visuels.
Pour des groupes tels que les Rolling Stones, les Beatles et Led Zeppelin, les licences d’utilisation des bandes-master d’un de leurs enregistrements de phonogramme dans un projet audio-visuel peut atteindre jusqu’à GBP1 million par transaction.
Les labels sont ainsi très largement poussés à avoir des rapports étroits avec les superviseurs musicaux, les agences de publicité et même les agrégateurs musicaux tels que The Orchard, afin de multiplier les opportunités de placer leurs enregistrements sonores dans des projets audio-visuels attractifs et riches en argent.
Les labels doivent en outre être réactifs et efficaces quand ils gèrent les demandes de licence de sync et d’utilisation des bandes-master, parce que les marques les contactent souvent très en aval, parfois même juste une ou deux semaines avant le lancement de la campagne de publicité, pour négocier les droits musicaux[37].
4.2. Le pour et le contre des contentieux de contrefaçon musicale (‟sound-a-like litigation”) dans le contexte de la synch
L’autre revers de la médaille du business de la sync est que de nombreux producteurs de projets audiovisuels ne s’embêtent pas à demander, et négocier, une licence de sync et d’utilisation des bandes-master avec les ayants-droits. Dans cette ère de l’internet, et avec une prolifération de chaînes de TV générées par les utilisateurs sur les plateformes telles que YouTube, les ayants-droits font face à une utilisation sans licence de musique commerciale de plus en plus courante, par les marques et les individus[38].
Souvent, l’artiste et son label découvre les publicités non-licenciées via les fans qui peuvent tomber sur ces publicités et les partager via leurs réseaux sociaux ou même tweeter l’artiste directement. Ces utilisations peuvent être très dommageables pour un groupe, en particulier pour ceux qui choisissent de ne pas utiliser leur musique en association avec des marques.
Il n’est pas rare pour une marque ou une agence de publicité basée dans un pays où il y a peu de protection des droits de propriété intellectuelle de simplement utiliser l’enregistrement sonore dans leur publicité sans demander. Même aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne cela peut arriver, souvent dû à une erreur ou une mauvaise compréhension sur le droit d’auteur musical et les droits de sync en particulier.
En outre, il y a une utilisation croissante des chansons ‟sound-a-like” dans le secteur de la publicité. Cela arrive lorsqu’une marque enregistre un morceau de musique avec l’intention de créer un son très similaire à une chanson existante – et souvent connue. Les agences de publicité et les marques peuvent penser qu’elles pourront contourner l’obligation de demander une licence au label et aux autres titulaires de droits de la chanson copiée de cette manière, mais le contentieux récent a prouvé le contraire. En 2007, par exemple, Tom Waits s’est opposé à l’utilisation d’une chanson ‟sound-a-like” d’un de ses morceaux dans une publicité faisant la promotion de voitures Opel et à régler ce différend avec succès.
Pour un label, l’utilisation non-autorisée d’un de ses enregistrements musicaux ou l’utilisation d’un ‟sound-a-like” à un de ses enregistrements de phonogramme par une marque ou une agence de publicité peut être une excellente opportunité de monétiser ses droits. Bien que ce scénario ne soit pas pour les peureux, étant donné que cela peut mener à un contentieux, il est tout à fait approprié d’initier un dialogue franc et constructif avec le contrefacteur, afin d’évaluer si une licence – et des redevances de licence – peut être négociée. Etant donné que toute licence serait accordée après l’utilisation de l’enregistrement sonore protégé par le droit d’auteur, les labels demandent normalement qu’une commission de licence plus élevée, en tant que pénalité pour ne pas avoir proactivement tenter d’obtenir l’utilisation licenciée dés le départ[39].
Parfois, ces différends ne peuvent pas être transigés hors les tribunaux, ce qui résulte en un contentieux à part entière qui pourrait tout à fait endommager la réputation de la marque contrefactrice; ce qui annule d’ailleurs entièrement l’objet premier de la campagne publicité, qui est – en fin de compte – de faire en sorte que plus de consommateurs apprécient la marque et ses produits. Les labels et les artistes-interprètes sont dans une position forte, ici, parce que s’ils peuvent démontrer avec preuves à l’appui la violation de leur droit d’auteur sur les enregistrements de phonogramme, ils peuvent obtenir des dommages et intérêts conséquents alloués par les juges sensibles aux besoins des titulaires de droits, dans des décisions de justice, en particulier dans les juridictions telles que la France, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.
Pour conclure, il est évident que les labels doivent réinventer leurs ‟business models” s’ils veulent s’épanouir, dans le nouveau paradigme du marché de la musique. Alors que les trois majors semblent avoir la main haute, dans ce jeu de réinvention et l’avantage de celui qui fait le premier pas dans les services tech et streaming, les labels indépendants peuvent bien jouer leurs cartes en utilisant comme levier leurs compétences existantes en proposant des services de label innovants, en monétisant leurs catalogues à travers la sync et le streaming, en explorant les eaux inconnues de la musique électronique et en maximisant les redevances de la diffusion publique de sons de phonogramme en concluant des transactions avantageuses avec les FSNs et les sociétés collectives.
[1] ‟Independent labels trounce UMG, Sony and Warner in US market share”, MusicBusinessWorldwide, 29 juillet 2015.
[2] ‟Downloaded”, documentaire de 2013 par Alex Winter à propos de Napster et la génération du téléchargement et l’impact de l’échange de fichier sur internet.
[3] ‟Copyright, Designs and Patents Act 1988”, s. 13A.
[4] Article L211-4 du Code de la propriété intellectuelle.
[5] ‟Rita Ora demands freedom from Roc Nation, citing Jay Z’s new pursuits”, Billboard, 17 décembre 2015.
[6] ‟Macklemore & Ryan Lewis crash radio with ‟Thrift shop””, Steven Horowitz, Billboard, 8 janvier 2013.
[7] Droits voisins à l’ère numérique: comment l’industrie de la musique peut en tirer partie, A. Gauberti, 26 juillet 2015.
[8] ‟What is a music stream? Artists and labels in battle over digital income”, The Guardian, Helienne Lindvall, 12 mars 2014.
[9] ‟Universal settles influential Eminem digital-revenue lawsuit”, Spin, Marc Hogan, 31 octobre 2012.
[10] ‟Big shake-up to music licensing regime embraced by US copyright office”, The Hollywood Reporter, Eriq Gardner, 5 février 2015.
[11] ‟Robbie Williams signs GBP80mn deal”, The Guardian, Fiachra Gibbons, 3 octobre 2002.
[12] ‟Billboard’s top 30 EDM power players list revealed: who rules dance music?”, Billboard, 6 décembre 2015.
[13] ‟EDM’s shameful secret: dance music singers rarely get paid”, The Guardian, Helienne Lindvall, 6 août 2013.
[14] ‟Electronic music industry now worth close to USD7bn amid slowing growth”, Thump, Zel McCarthy, 25 mai 2015.
[15] ‟Labelled with love”, Music Week, Tom Pakinkis, mai 2015.
[16] ‟Fintage House launches ‟full-service” publishing model – including masters”, Music Business Worldwide, Tim Ingham, 7 mai 2015.
[17] Kobalt Music
[18] ‟Kobalt raises USD140mn to scale up its digital collection business”, Techcrunch, Ingrid Lunden, 4 juin 2014.
[19] ‟What will record deals look like in the future?”, Music Business Worldwide, Tim Ingham, 19 novembre 2015.
[20] Droits voisins à l’ère numérique: comment l’industrie de la musique peut en tirer partie, A. Gauberti, 26 juillet 2015.
[21] http://www.universalmusic.com/universal-music-group-names-jay-frank-veteran-music-and-media-executive-to-lead-companys-playlist-marketing-strategy/
[22] ‟Revenge of the record labels: how the majors renewed their grip on music”, Forbes, 15 avril 2015.
[23] ‟Warner will pay artists Spotify IPO money when it sells its shares”, Music Business Worldwide, Tim Ingham, 4 février 2016.
[24] ‟This was Sony Music’s contract with Spotify”, The Verge, Micah Singleton, 19 mai 2015.
[25] https://artists.spotify.com/
[26] ‟Breakage is back: how Deezer paid USD23mn in unallocated advances to labels”, Music Business Worldwide, Tim Ingham, 25 septembre 2015.
[27]https://winformusic.org/fair-digital-deals/
[28] ‟France seeks to tackle music’s digital future, provide artists a minimum wage”, Billboard, Andrew Flanagan, 10 mai 2015.
[29] Droits voisins à l’ère numérique: comment l’industrie de la musique peut en tirer partie, A. Gauberti, 26 juillet 2015.
[30] ‟Pandora signs first direct deal with Merlin”, Billboard, Glenn Peoples, 6 août 2014.
[31] ‟Pandora forced to pay artists millions more – but fares well in crucial rates decision”, Musicbusinessworldwide, Tim Ingham, 16 décembre 2015.
[32] ‟Record labels sue Pandora over Pre-1972 recordings”, Ed Christman, Billboard, 17 avril 2014.
[33] Droits voisins à l’ère numérique: comment l’industrie de la musique peut en tirer partie, A. Gauberti, 26 juillet 2015.
[34] ‟In search of your neighbouring rights abroad”, MaMa, 14 octobre 2015.
[35] http://www.universalmusic.com/universal-music-taps-veteran-producers-from-hollywood-and-broadway-to-lead-film-television-and-theatrical-development/
[36] ‟An overview of master use licenses: film and television uses, IAEL book, Licensing of music – from BC to AD”, 2014, Bernard Resnick and Priscilla Mattison.
[37] ‟Music rights without fights”, 2016, Richard Kirsten.
[38] IP Clinic: Ils jouent notre chanson. Au procés!, Managing Intellectual Property, 1 septembre 2014, Tom Foster, Richard Kirstein, Annabelle Gauberti.
[39] Sync masterclass, MIDEM 2015, Bernard Resnick, Tom Foster, Annabelle Gauberti
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