
Le Midem 2015 s’est terminé hier et voici les trois problématiques clés qui ont été discutées et débattues durant cette tornade de salon professionnel et international de la musique. L’opinion de Crefovi sur le Midem 2015, exprimée par son associée fondatrice et gérante Annabelle Gauberti, ci-dessous, permet de comprendre les nouveaux enjeux des professionnels du secteur musical.
Chaque année, le Midem est le moyen de faire le point sur les problématiques clés qui animent le secteur de la musique à ce moment-là. Cette industrie étant en évolution constante, voici l’opinion de Crefovi sur le Midem 2015.
1. L’opinion de Crefovi sur le Midem 2015: la diversification des sources de revenus est une bonne façon de protéger ses arrières
Tout d’abord, toutes les parties prenantes de l’industrie de la musique étaient d’accord, durant le Midem 2015, sur le fait que les sources de revenu et leurs provenances sont en train de croître et de se diversifier.
Alors que les ventes de format physique sont restées stables dans des territoires clés tels que le Royaume-Uni (toujours 41 pour cent des revenus totaux de l’industrie dans ce pays, en 2014!), l’Allemagne, le Japon et la France, les revenus provenant du digital de l’industrie ont augmenté de 6,9 pour cent en 2014 à USD6,9 milliards et sont maintenant à niveau égal avec le secteur physique.
En effet, globalement, tout comme les ventes de format physique, les revenus du digital comptent maintenant pour 46 pour cent des revenus totaux de l’industrie dans l’ensemble du monde. Dans 4 des 10 marchés les plus importants au monde, les canaux digitaux comptent pour la majorité des revenus (c’est-à-dire 71 pour cent des revenus totaux 2014 de l’industrie aux États-Unis; 58 pour cent des revenus totaux 2014 de l’industrie en Corée du Sud; 56 pour cent des revenus totaux 2014 de l’industrie en Australie et 45 pour cent des revenus totaux 2014 de l’industrie au Royaume-Uni).
Les services d’abonnement digital, qui font partie d’un mix de plus en plus diversifié des sources de revenus de l’industrie, sont en train d’augmenter à vitesse exponentielle. Les revenus générés par ces services d’abonnement musical — y compris free-to-consumer et paid-for tiers — ont augmenté de 39 pour cent en 2014 et continuent à croître de manière consistante à travers tous les marchés majeurs.
Les marques globales, telles que Deezer et Spotify, continuent à récolter les bénéfices de leur expansion géographique, alors que, en même temps, de nouveaux venus de marque sont entrés dans le marché du streaming: YouTube a lancé le service d’abonnement Music Key fin 2014, Apple a acquis Beats pour USD3 milliards en préparation du lancement de son propre service de streaming, alors que Jay Z et d’autres stars de la musique ont lancé le service de streaming géré par les artistes eux-mêmes, Tidal.
Le modèle de l’abonnement est en train d’aboutir à plus de paiements effectués par les consommateurs pour écouter de la musique. Les consommateurs semblent en effet se détourner des sites de piratage pour s’intéresser à l’environnement de la musique faisant l’objet d’une licence, qui paie des redevances aux artistes et autres ayant-droits. Le nombre de souscripteurs payant pour des abonnements a atteint 41 millions en 2014, alors qu’il n’y avait que 8 millions de souscripteurs en 2010, représentant une augmentation de 46,4 pour cent.
Les revenus d’abonnement ont, de manière prévisible, compensé les revenus provenant des téléchargements qui sont en déclin (-8 pour cent) pour faire croître les revenus globaux provenant du digital, poussant l’abonnement au cœur du portefeuille des business de l’industrie de la musique, représentant 23 pour cent du marché digital et générant USD1,6 milliards en revenus commerciaux.
Toutefois, les téléchargements en digital restent une source de revenu clé alors qu’ils comptent toujours pour plus de la moitié des revenus du digital (52 pour cent) et aident à propulser la croissance digitale growth dans certains marchés en voie de développement tels que l’Afrique du Sud, le Venezuela, les Philippines et la Slovaquie.
Les revenus des services de streaming backés par la publicité, tels que YouTube et Vevo, sont aussi en hausse — plus 38,6 pour cent en 2014.
Les revenus des droits de performance – générés par la radiodiffusion, les services de streaming personnalisés et par les bars, restaurants et autres établissements commerciaux – sont en forte augmentation. Les revenus des droits de performance ont augmenté de 8,3 pour cent pour atteindre presque USD1 milliard, représentant 6 pour cent des ventes totales de musique au monde en 2014.
Les revenus dérivés des accords de synchronisation — l’utilisation de musique dans des publicités à la TV, des films, des jeux vidéo et les contrats de partenariat avec des marques ont augmenté de 8,4 pour cent en 2014 et comptent aujourd’hui pour 2 pour cent des revenus totaux de l’industrie. Le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France ont tous vu des performances supérieures à la moyenne dans ce secteur, augmentant de 6,4 pour cent, 30,4 pour cent et 46,4 pour cent respectivement.
Alors que la diversification des sources de revenus fait diminuer les risques économiques supportés par les ayants droit, même si les parties prenantes du monde de la musique ont la garantie de pouvoir monétiser leurs droits de propriété intellectuelle et donc de « collecter l’argent comptant » d’une manière ou d’une autre, cette diversification souligne aussi la complexité et la « tyrannie de choix » qui caractérisent l’industrie de la musique aujourd’hui.
En effet, les consommateurs sont perdus lorsqu’ils se retrouvent en face d’une cascade de choix qu’ils ont à faire, afin de sélectionner les meilleurs fournisseurs et formats de musique dans cette industrie créative qui va furieusement de l’avant de plus en plus vite, sous l’impulsion des géants de la technologie tels qu’Apple et Google.
Que format musical choisir? Devrais-je écouter mes morceaux de musique favoris sur un format physique, digital, téléchargé?
Si je choisis un format digital, quel fournisseur de streaming devrais-je utiliser et auquel je devrais m’abonner? YouTube, Tidal, Deezer, Spotify ou Apple du côté des abonnements? DailyMotion, Vevo ou YouTube du côté du streaming backé par les publicités?
Nous pensons que les fournisseurs de streaming musicaux vont entrer dans une lutte à mort, puisque tant les secteurs de la musique que de la tech sont construits autour du modèle économique ‟winner-take-all”. Dans les cinq prochaines années ou même moi, seulement un ou deux fournisseurs de streaming vont dépasser tous les autres, à travers des consolidations, fusions et acquisitions ou – simplement – des faillites de leurs concurrents.
Alors que les consommateurs luttent pour ‟parier sur le bon cheval” (et nous suspectons que ces bons chevaux seront des services de streaming backés par les géants monopolistiques et gorgés de trésorerie que sont Google et Apple), les ayants-droits, leurs sociétés de collecte de droits, les éditeurs et les managers rechignent aussi à la perspective d’avoir à collecter et auditer les revenus provenant de tant de sources différentes et dans des formats et formes si différents.
2. Beaucoup de marge d’amélioration concernant la transparence
Alors que l’industrie de la musique souffle un énorme soupir de soulagement puisque les revenus générés par différentes sources de revenus sont – enfin – soit relativement stables (format physique, téléchargements) ou en croissance (streaming, synchro, droits de performance, concerts), les parties prenantes de la musique se sentent impuissants face à la tâche de collecter avec efficacité l’argent comptant et gérer leurs droits partout dans le monde, dans cette ère digitale.
Il semble que personne ne veuille se coller au travail de réclamer, pour le compte des auteurs-compositeurs et interprètes, l’argent comptant des sites de streaming tels que YouTube et Vevo, et à la tâche de vérifier et auditer ces relevés de comptes de revenus envoyés par YouTube, Spotify, Deezer, etc!
Les éditeurs et les labels de musique se renvoient la balle concernant le rôle de vérifier ces relevés -au demeurant extrêmement complexes – de revenus provenant du digital, s’appuyant sur les sociétés de collecte de droits pour que la majorité du travail soit effectué, pendant que les managers et les agents râlent parce que, selon eux, les artistes ne sont pas assez payés par lecture de stream.
Il est vrai que, avec des taux de redevance par lecture de stream variant entre USD0,00012 (pour AmazonCloud) et USD0,07411 (pour Nokia), alors que YouTube paye USD0,00175 et Spotify paye USD0,00521, on peut se demander comment les interprètes et auteurs-compositeurs peuvent obtenir un profit lorsqu’ils octroient une licence sur leurs catalogues à des sites de streaming, quel que soit le nombre de fois où leurs morceaux de musique sont joués.
Le top talent tel que Taylor Swift a décidé de sortir des sites de streaming tels que Spotify, en novembre 2014, restant de marbre à l’argument de Spotify selon lequel ils avaient payé plus de USD2 milliards aux artistes depuis 2008, et allaient payer Swift à peu près USD6 millions pour l’année.
Un autre domaine très secret du business du streaming, qui est lentement et avec résistance en train de devenir moins opaque, est centré autour des termes exacts sur lesquels les fournisseurs de streaming et les majors se sont mis d’accord. En effet, en mai 2015, l’accord signé en janvier 2011 par Spotify et Sony, le major qui détient la musique de Michael Jackson, Bruce Springsteen, Mariah Carey et One Direction, a été diffusé dans la presse. Il s’avère que l’argent coule à flot…pour le label. Sony a reçu USD25 millions en paiement d’avances durant les deux premières années de son contrat, puis une autre somme de USD17,5 millions d’une troisième année optionnelle. Le label n’a probablement pas partagé ses paiements avec les artistes. ‟Le business du streaming dans sa totalité a été un système ridicule pour ne pas rémunérer les labels indépendants et les artistes” a commenté Allen Kovac, manager de Motley Crue et Blondie.
Dans ce contexte, une flopée de start-ups tech sont apparues dans l’écosystème de la musique, afin de fournir des outils de recherche et d’audit aux parties prenantes de l’industrie de la musique, afin qu’elles puissent tracker quels morceaux de musique sont joués, ou, par qui et quand. Souvent, ces start-ups de la tech sont rachetées par les géants de ce secteur tels qu’Apple (qui a acheté la start-up anglaise derrière le service d’analyse musicale Musicmetric en janvier 2015, une société aidant les labels à tracker les ventes digitales, le nombre de streams et les stats des médias sociaux, qui pourrait faire partie du re-lancement de Beats Music).
La transparence est donc toujours vraiment un problème dans le contexte du streaming de la musique, même si les sites de streaming musical, qui ont tous une bataille à mort à gagner, se font concurrence pour offrir les meilleurs outils de tracking possible à leurs partenaires, labels de musique et artistes.
3. Concernant l’harmonisation des règles du jeu, l’UE est en train de gagner
Enfin, le sommet juridique de l’IAEL durant MIDEM 2015 était essentiel pour comprendre pleinement le challenge auquel sont confrontés les législateurs et lobbyistes aux États-Unis et dans l’Union Européenne, en permettant et améliorant la récolte de droits de performance sur une base pan-territoriale.
En effet, parmi les 10 marchés musicaux internationaux principaux en 2014, les États-Unis sont les seuls à ne pas générer de droits de diffusion sur les phonogrammes pour ses artistes-interprètes et producteurs (sachant que les revenus collectés par SoundExchange sont maintenant reportés sous la catégorie ‟Digital”, étant donné qu’ils sont relatifs seulement aux redevances découlant de performances sur les sites de digital). En d’autres mots, les artistes-interprètes et producteurs, aux États-Unis, ne reçoivent pas de redevances concernant les droits de diffusion quand leurs phonogrammes sont diffusés par la radio terrestre.
Sans surprise, à cause des multiples conflits d’intérêts et priorités d’agenda conflictuelles que le congrès américain doit gérer, les lobbyistes représentant l’industrie de la musique américaine se sentent découragés, alors que leur projet de loi sur la réforme du droit d’auteur (‟copyright”), tels que le ‟Songwriter Equity Act”, le ‟Allocation for Music Producers Act” et le ‟Fair Play Fair Pay Act” progressent très lentement à travers les méandres de la ‟House of Representatives”.
Nous pensons qu’il y a une haute probabilité que ces projets de loi américains restent non votés, surtout alors que les diffuseurs de radio américains et autres parties prenantes refusent catégoriquement l’introduction de toute redevance publique sur les diffusions de morceaux de musique sur la radio AM/FM. Dénier la collecte de redevances de performance publique sur les morceaux de musique diffusés à la radio terrestre, coûte aux États-Unis, tant sur son territoire qu’à l’étranger, au moins USD100 millions en revenus étrangers seulement par an. En effet, puisque les États-Unis ne payent pas de redevances de diffusion sur les enregistrements sonores qui sont diffusés à la radio terrestre pour des artistes étrangers, les autres pays ne payent bien évidemment pas de redevances pour les artistes américains non plus.
Ce manque d’harmonisation, par les États-Unis, de son système juridique inefficace et néfaste, avec le système juridique européen plus favorable aux artistes, va causer un préjudice sur le long-terme à l’industrie de la musique américaine, les artistes et managers américains n’hésitant pas à travailler de l’étranger afin de bénéficier de sources de revenus plus larges et, en particulier, de droits de diffusion.
Dans l’Union Européenne, le maître-mot est ‟en avant toute”: suite à l’entrée en vigueur, en février 2014 de la directive de l’UE sur la gestion collective de droit d’auteur et de droits liés et la licence multiterritoriale de droits dans les droits musicaux pour l’utilisation en ligne sur le marché interne, une concurrence plus juste – ainsi qu’une collaboration plus saine – ont enfin émergées entre les sociétés de collecte de droit localisées dans l’UE. La licence cross-border de droits en ligne dans les œuvres musicales, à travers les 28 états-membres européens, est maintenant un acquis, faisant de l’Union Européenne le champion mondial de la protection des droits des créateurs de contenu musical partout dans le monde.
Dans l’ensemble, l’opinion de Crefovi sur le Midem 2015 est positive, ce MIDEM 2015 était agréable, générateur de dossiers et bourré de contenu utile pour notre cabinet d’avocats. Nous comptons revenir l’année prochaine, surtout s’il y a une autre méga-party organisée au Carlton à l’horizon!
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