
En passant en revue divers articles quotidiens sur l’industrie du podcasting, je suis récemment tombé sur la série de podcasts ‟The Unfiltered History Tour with VICE World News”. Cette série diffuse des ‟histoires d’artefacts contestés, racontées par des gens de leur pays d’origine” (sic), en relation avec des artefacts conservés/entreposés au ‟British Museum” de Londres, au Royaume-Uni. J’ai écouté les 10 épisodes, et j’ai été émue par les forts sentiments d’injustice ressentis par les descendants des personnes à qui appartenaient ces objets (comme un chercheur égyptien, pour la pierre de Rosette; un cinéaste de Rapa Nui, pour la statue ‟hoa hakananai’a”; un artiste et écrivain du royaume du Bénin, Nigeria, pour les bronzes béninois; un batteur ghanéen, pour le tambour akan; un intellectuel indien pour les marbres Amaravati; des citoyens jamaïcains pour les figurines Birdman et Boinayel; des descendants d’aborigènes, pour les Bouclier Gweagal australien; un étudiant universitaire grec et activiste, pour les marbres du Parthénon; des descendants chinois, pour les vases et sculptures en porcelaine provenant du palais d’été; et un écrivain et artiste assyrien, pour l’œuvre d’art décrivant la chasse au lion d’Ashurbanipal); objets contestés qui sont ‟coincés” au ‟British Museum”, au Royaume-Uni. Alors que le ‟British Museum” reconnaît qu’il y a des ‟objets contestés dans sa collection” (sic), rien n’a été fait de manière pragmatique et tangible, jusqu’à présent, par les autorités britanniques, pour restituer ces actifs culturels extrêmement controversés aux descendants des personnes auxquels ils ont été pris. Des demandes similaires de restitution de biens culturels ont été faites à d’autres institutions et musées britanniques, ainsi qu’à des musées français, tels que le Musée du quai Branly à Paris, un musée présentant l’art et les cultures indigènes d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques. J’ai décidé d’approfondir ces questions juridiques. Quel est l’état des lieux, par rapport aux obligations de restitution des objets volés/pris/achetés pendant les périodes de découverte et de colonisation (et après), par le Royaume-Uni et la France, dans les pays visités, colonisés ou ex-colonisés? Quel est le cadre juridique applicable à ces litiges et réclamations de restitution de biens culturels? Comment les descendants des personnes dont les artefacts ont été volés peuvent-ils effectivement et efficacement obtenir la restitution de leurs objets, auprès des institutions françaises et britanniques, dans les meilleurs délais?
1. Restitution des biens culturels: cadre juridique
1.1. Droit international: conventions UNESCO et convention UNIDROIT
Diverses conventions de l’UNESCO, telles que la convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé du 14 mai 1954 (la ‟Convention de La Haye de 1954”) et la convention sur les moyens d’interdire et de prévenir l’importation, l’exportation et le transfert illicites de propriété des biens culturels en date du 14 novembre 1970, ont été adoptées pour protéger les biens culturels, tels que les monuments d’architecture, d’art ou d’histoire, les sites archéologiques, les œuvres d’art, les manuscrits, les livres et autres objets d’intérêt artistique, historique ou archéologique, ainsi que les collections scientifiques de toute nature, quelle que soit leur origine ou leur propriété.
Alors que la France a ratifié les deux conventions de l’UNESCO, respectivement en 1957 et 1997, le Royaume-Uni a ratifié tardivement la Convention de La Haye de 1954 en 2017 et a ‟accepté” – mais n’a pas ratifié – la convention de l’UNESCO de 1970, en 2002.
Les engagements pris par les états parties aux conventions de l’UNESCO servent à préserver le patrimoine culturel à travers la mise en œuvre des mesures suivantes, entre autres:
- déclarer illicites l’importation, l’exportation ou le transfert de propriété de biens culturels effectués en violation des dispositions adoptées dans le cadre de la convention de 1970 par les états parties à celle-ci;
- déclarer illicites l’exportation et le transfert de propriété de biens culturels sous la contrainte résultant directement ou indirectement de l’occupation d’un pays par une puissance étrangère;
- adopter des mesures préventives telles que la préparation d’inventaires, la planification de mesures d’urgence pour protéger les biens contre les risques d’incendie ou d’effondrement de bâtiments, et la préparation de l’évacuation des biens culturels vers des lieux sûrs;
- développer des initiatives qui garantissent le respect des biens culturels situés sur leur propre territoire ou sur le territoire d’autres États parties. Cela implique de s’abstenir d’utiliser ces biens d’une manière qui pourrait les exposer à leur destruction ou détérioration en cas de conflit armé, et de s’abstenir de tout acte d’hostilité dirigé contre eux;
- inscrire les biens culturels de très haute importance au Registre international des biens culturels sous protection spéciale afin d’obtenir une protection spéciale pour ces biens;
- marquer certains édifices et monuments importants d’un emblème distinctif des conventions;
- fournir un lieu de refuge éventuel pour abriter des biens culturels mobiliers;
- la création d’unités spéciales au sein des forces militaires chargées de la protection des biens culturels;
- fixer des sanctions en cas de violation des conventions, et,
- promouvoir les conventions auprès du grand public et par l’intermédiaire de groupes cibles tels que les professionnels du patrimoine culturel et les forces armées ou de maintien de l’ordre.
Ces conventions de l’UNESCO ont une portée limitée, en ce qui concerne les objets pris et volés avant leur entrée en vigueur.
En effet, de nombreux objets, aujourd’hui dans les collections des musées, ont été acquis auprès de leurs propriétaires d’origine par la violence ou la tromperie, ou dans des conditions liées à l’asymétrie du ‟contexte colonial”, avant même l’entrée en vigueur des conventions de La Haye de 1899 et 1907, lorsque les pratiques de pillage et de rapportage de trophées étaient encore admissibles. La collecte d’objets étrangers, par des missions scientifiques financées par les états colonisateurs, lors de l’exploration et de la conquête de nouveaux territoires, était un autre moyen d’obtenir unilatéralement des biens culturels étrangers, largement utilisés, parallèlement et conjointement aux opérations militaires orchestrées par ces mêmes gouvernements.
Le contexte d’acquisition va donc être déterminant dans le traitement des demandes de restitution, car ces actes précités ne sont pas juridiquement qualifiés de crimes, au regard du droit international, contrairement aux spoliations nazies (contre lesquelles la déclaration interalliée contre les actes de dépossession commis dans des territoires sous occupation ou contrôle ennemi en date du 5 janvier 1943, un acte juridique spécifique, a été adoptée) et contrairement aux pillages et destructions en temps de guerre postérieurs à la Convention de La Haye de 1954 précitée.
Deuxièmement, de nombreux objets de collections publiques ont été donnés ou légués à des musées, par les héritiers de colons, militaires impliqués dans les opérations de conquête, administrateurs de colonies ou missionnaires, parfois plusieurs décennies après la mort de leurs ancêtres. Les modalités de l’acquisition initiale de ces objets – qui s’étalent sur près d’un siècle et demi – peuvent être très diverses: butin de guerre, bien sûr, vols, dons plus ou moins librement consentis, mais aussi troc, achats, équitables ou non, ou encore des commandes directes passées aux artisans et artistes locaux. La plupart du temps, le musée bénéficiaire de ces dons, déjà anciens, dispose d’informations limitées sur les conditions de la première acquisition de ces objets, voire parfois sur leur provenance exacte. Ces objets n’entrent pas dans le champ d’application des deux conventions de l’UNESCO susmentionnées.
En outre, ces conventions de l’UNESCO n’ont aucun effet en ce qui concerne les biens culturels qui sont détenus par des particuliers, comme le confirme l’affaire judiciaire relative à une demande de restitution, faite pour les statues Nok, par le Nigeria: ‟Les dispositions de la convention de l’UNESCO de 1970 convention ne sont pas directement applicables dans l’ordre public interne des états parties, donc M.X. a raison de soutenir que cette convention ne prévoit que des obligations s’appliquant aux états parties, et ne crée aucune obligation directe à l’encontre des citoyens privés de ces états parties” (Cour d’appel de Paris, 5 avril 2004, République fédérale du Nigéria c/ M.X., affaire 2002/09897, confirmée par la Cour de cassation civ.1, 20 septembre 2006, n°04-115599).
Enfin, ces deux conventions de l’UNESCO ne prévoient aucun mécanisme de restitution, concernant tout bien culturel volé ou pillé, laissant ainsi un vide juridique, en droit international, en ce qui concerne les restitutions d’œuvres d’art.
Cependant, la convention UNIDROIT sur les biens culturels volés ou illégalement exportés, du 24 juin 1995 (la ‟Convention UNIDROIT”), comble cette lacune et est donc complémentaire de ces conventions de l’UNESCO. Il s’agit d’une étape importante dans l’établissement d’un mécanisme commun et de règles juridiques minimales pour la restitution et le retour des biens culturels entre les états contractants, dans le but d’améliorer la préservation et la protection du patrimoine culturel dans l’intérêt de tous.
En effet, la Convention UNIDROIT s’applique aux demandes de caractère international pour (a) la restitution de biens culturels volés et (b) la restitution de biens culturels enlevés du territoire d’un état contractant en violation de sa loi réglementant l’exportation de biens culturels dans le but de protéger son patrimoine culturel (‟Biens culturels illégalement exportés”).
Mais le champ d’application de la Convention UNIDROIT est limité dans la pratique, car des pays comme la France et le Royaume-Uni, où une part considérable des Biens culturels illégalement exportés et des objets culturels volés, pris pendant la ‟période de colonisation”, sont stockés dans les collections publiques nationales, n’ont soit pas ratifié, soit même pas signé (pour le Royaume-Uni), cette Convention UNIDROIT.
En outre, certaines limites de temps aux demandes de restitution d’objets culturels volés ou illégalement exportés sont énoncées dans la Convention UNIDROIT. Ces actions peuvent être intentées dans un délai de trois ans à compter du moment où le demandeur ou l’état requérant a eu connaissance de la localisation du bien culturel et de l’identité du possesseur, et dans un délai de cinquante ans à compter du moment du vol, de l’exportation ou de la date à laquelle l’objet aurait dû être restitué (articles 3.3 et 5.5). Cependant, il existe des exceptions à cette règle pour les objets volés. Les biens culturels qui font partie intégrante d’un monument ou d’un site archéologique identifié, ou qui appartiennent à une collection publique, ne sont soumis à aucune prescription autre qu’un délai de trois ans à compter du moment où le demandeur a connu la localisation du bien culturel et l’identité de son possesseur (article 3.4). En outre, un état contractant peut déclarer qu’une demande justifie un délai prolongé de soixante-quinze ans ou plus, si cela est prévu dans sa législation nationale (article 3.5).
Par ailleurs, la Convention UNIDROIT n’est pas un traité rétroactif et, à ce titre, elle ne s’applique qu’aux biens culturels volés, ou aux Biens culturels illégalement exportés, après l’entrée en vigueur de la Convention UNIDROIT (article 10). Cependant, la Convention UNIDROIT ‟ne légitime en aucune façon toute transaction illégale de quoi que ce soit qui ait eu lieu avant l’entrée en vigueur de la présente convention” et ne ‟limite aucun droit d’un état ou d’une autre personne de faire une réclamation dans le cadre des recours disponibles en dehors du cadre” de la convention (article 10.3).
1.2. Législation de l’Union européenne: Directive 2014/60/UE du 15 mai 2014 relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un état membre
Cette question de l’écriture et de l’adoption de règles communes, entre états, pour garantir la restitution des biens culturels, a d’abord émergé en Europe, et plus précisément au sein des états membres de l’Union Européenne (‟UE”).
Les états membres de l’UE bénéficient d’outils d’intégration économique, culturelle et juridique, très développés sur certains aspects, et notamment sur la restitution des biens culturels.
Mais la mise en œuvre et le bénéfice de ces mécanismes de restitution automatique, pour les biens culturels qui ont été volés ou illicitement exportés, sont bien entendu limités aux seuls états membres de l’UE.
La directive 2014/60/UE du 15 mai 2014 sur la restitution des biens culturels sortis illégalement du territoire d’un état membre (la ‟Directive”) prévoit ce droit de restitution des biens culturels à l’échelle de l’UE.
Depuis le Brexit, le Royaume-Uni n’est plus un état membre de l’UE et, par conséquent, la Directive susmentionnée ne s’applique plus sur son territoire.
Cependant, la Directive s’applique en France, l’un des vingt-sept états membres restants de l’UE, via sa transposition dans les lois nationales françaises.
La Directive mentionnée ci-dessus est un cadre très pragmatique, sur la manière dont les biens culturels doivent être restitués, dans quel délai et sous quelles conditions.
Toutefois, lorsque la demande de restitution émane d’un état tiers (c’est-à-dire non membre de l’UE), la protection de l’acheteur de bonne foi, ainsi que le principe de territorialité des lois (c’est-à-dire le principe selon lequel le juge ne statuera que dans le respect de la loi du pays dans lequel se trouve l’objet, au moment de la demande de restitution) bloquent généralement toute issue favorable à cette demande de restitution.
Ainsi, dans le cas où la demande de restitution émane d’un état hors de l’UE, les conventions de l’UNESCO de 1954 et 1970 susmentionnées s’appliquent, mais, comme déjà indiqué, elles ont une portée limitée.
Le déséquilibre entre le droit applicable dans les états membres de l’UE et les principes que le juge utilise à l’encontre d’états tiers situés hors d’Europe impacte gravement l’avenir des restitutions de biens culturels aux pays situés en Afrique, en Asie, en Australasie et dans les Amériques. Ce déséquilibre pourrait être corrigé si la France et le Royaume-Uni, ainsi que les pays d’Afrique, d’Asie et d’Australasie ratifiaient la Convention UNIDROIT susmentionnée. Cette Convention UNIDROIT prévoit un mécanisme de restitution automatique, qui s’appliquerait à ses états contractants. Il pourrait être le fondement d’un droit commun à la restitution, en particulier, et potentiellement, en ce qui concerne les biens culturels saisis pendant la ‟période coloniale”. La ratification de la Convention UNIDROIT peut donc être la clé pour mettre en place un mécanisme de restitution automatique, non seulement dans l’UE, mais aussi en dehors de l’UE.
Les états membres de l’UE ont appliqué ces ambitions en insufflant les principes de la Convention UNIDROIT dans la Directive. Dès lors, l’extension de ces principes aux états tiers, via la Convention UNIDROIT, devrait être réalisable.
1.3. Règles françaises
Le cadre juridique français actuel est organisé de manière à bloquer et à s’opposer à la plupart des demandes de restitution adressées aux musées français, concernant leurs collections muséales, via ses:
- dispositions du code du patrimoine (‟CP”) entré en vigueur en 2004, et
- dispositions du code général des propriétés des personnes publiques (‟CGPPP”) entré en vigueur en 2006.
Le cadre juridique français actuel établit une définition du mobilier du domaine public qui couvre tous les biens culturels – en particulier les collections publiques. Une telle définition du mobilier du domaine public français déclenche une certaine protection juridique adossée aux règles d’imprescriptibilité et d’inaliénabilité du domaine public, qui bloque toute demande de restitution.
En effet, le principe légal d’inaliénabilité des collections publiques françaises, consacré à l’article L. 451-5 CP, s’oppose au transfert de propriété de l’un quelconque de ces biens conservés dans ces collections. En effet, tous les biens appartenant aux collections publiques françaises sont des trésors nationaux, en application de l’article L. 111-1 CP.
En France, les rares cas de restitution qui ont eu lieu au cours des vingt dernières années ont été rendus possibles par des mécanismes visant à contourner les règles relatives au domaine public français. Deux voies juridiques ont été poursuivies, comme suit:
- en promulguant une loi créant une exception au principe d’inaliénabilité des collections publiques françaises, dérogeant aux règles précitées applicables aux biens culturels et au domaine public français. Par exemple la loi nº2002-323 du 6 mars 2002 relative à l’autorisation de restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie (Sarah) Baartman, dite la ‟Vénus d’Hottentote”, à l’Afrique du Sud, et la loi nº2010-501 du 18 mai 2010 relative à l’autorisation de la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande, sont de telles lois prévoyant des exceptions au principe d’inaliénabilité en raison du principe de dignité et du respect dû aux morts, et
- soustraire un bien culturel, du champ d’application des lois relatives au domaine public français, parce que cet objet n’appartient pas à la collection du musée. Par exemple, les œuvres d’art estampillées ‟Musées Nationaux Récupération” depuis 1953, qui comptent 60.000 œuvres pillées par l’occupant nazi et jamais restituées, n’ont jamais été ajoutées aux collections publiques françaises, précisément pour permettre leur restitution une fois que les propriétaires ou les ayants droit seraient identifiés ou reconnus. Aussi, les restitutions de biens culturels chinois, effectuées en 2015, ont été possibles via le retrait, à la demande de l’état français, du don fait quelques années plus tôt, par un collectionneur privé, au musée Guimet. Dès lors, rebaptisés ‟propriété privée”, ces objets ont pu être restitués, directement par le donateur, à l’état chinois. Par ailleurs, le retrait d’un bien culturel du domaine public français peut être dû à un vice originel irréparable entachant son acquisition. Les objets issus de trafics illicites, entrés dans les collections publiques françaises après 1997 (la France ayant ratifié le 7 janvier 1997 la convention UNESCO de 1970 précitée), en raison d’une négligence dans le contrôle de leur provenance lors de leur acquisition, ou dont le caractère illicite s’est révélé suite à la découverte de faits nouveaux, peuvent faire l’objet d’une annulation de leur acquisition (par voie de vente, de leg ou de don) via une action en justice initiée par l’entité publique française fraudée, conformément à la loi nº2016-925 du 7 juillet 2016. L’objet est donc réputé n’être jamais tombé dans le domaine public français, et le nouvel article L. 124-1 CP prévoit que le juge peut ordonner sa restitution à son propriétaire d’origine.
1.4. Règles au Royaume Uni
De même, le cadre juridique actuel du Royaume Uni est conçu de telle manière qu’il bloque et s’oppose aux demandes de restitution adressées aux musées britanniques concernant leurs collections muséales.
Comme mentionné ci-dessus dans l’introduction de cet article, le ‟British Museum” de Londres est férocement ciblé par des appels croissants au rapatriement de biens culturels, avec des demandes répétées de divers pays, tels que la Grèce, l’Éthiopie, l’Italie et le Nigéria, pour restituer des objets se trouvant dans sa vaste collection.
Cependant, le ‟British Museum” et le gouvernement britannique se sont systématiquement opposés à ces demandes de restitution en invoquant le ‟British Museum Act 1963”, une loi nationale qui interdit à l’institution de restituer des œuvres. En effet, l’article 5 (Disposition des objets) du ‟British Museum Act 1963” prévoit que ‟les administrateurs du ‟British Museum” peuvent vendre, échanger, donner ou autrement disposer de tout objet qui leur est dévolu et compris dans leurs collections si:
- (a) l’objet est un double d’un autre objet de ce type, ou
- (b) l’objet semble aux fiduciaires avoir été fabriqué au plus tôt en 1850 et se compose essentiellement d’imprimés dont une copie réalisée par photographie ou par un procédé apparenté à la photographie est détenue par les fiduciaires, ou
- (c) de l’avis des administrateurs, l’objet est inapt à être conservé dans les collections du Musée et peut être cédé sans préjudice des intérêts des étudiants (à condition que, lorsqu’un objet est dévolu aux administrateurs en vertu d’un don ou legs les pouvoirs conférés par le présent paragraphe ne peuvent être exercés à l’égard de cet objet d’une manière incompatible avec toute condition attachée au don ou au legs)”.
Des exceptions très limitées similaires au principe selon lequel les objets des collections publiques du Royaume-Uni ne peuvent pas être cédés sont énoncées dans le ‟National Heritage Act 1983”, qui se concentre sur les collections du ‟Victoria & Albert Museum”, du ‟Science Museum”, etc.
Le Royaume-Uni n’a promulgué que deux lois jusqu’à présent, qui prévoient des exceptions supplémentaires au principe d’interdiction de restituer des œuvres provenant de collections publiques britanniques.
Les dispositions du ‟Human Tissue Act 2004” créent une nouvelle exception aux dispositions du ‟British Museum Act 1963”. En effet, en vertu du ‟Human Tissue Act 2004”, les administrateurs du ‟British Museum” ont le pouvoir d’aliéner des restes humains, et de les restituer à leurs propriétaires et/ou les descendants de ces personnes décédées. Par conséquent, le ‟British Museum” a mis en place une politique pragmatique, qui définit les circonstances dans lesquelles les administrateurs peuvent examiner une demande de restitution de restes humains. Il donne des indications sur les procédures à suivre par ceux qui souhaitent soumettre une demande de restitution de restes humains de la collection du ‟British Museum” datant de moins de mille ans à une communauté d’origine.
En outre, le ‟Holocaust (Return of Cultural Objects) Act 2009” a ouvert le rapatriement des œuvres d’art pillées à l’époque nazie.
Mis à part ces deux lois et processus d’exemption ‟ad hoc” susmentionnés, le Royaume-Uni est resté fidèle à ses positions, opposant à chacune des demandes de restitution, faites par divers états tiers ou communautés autochtones d’Afrique, d’Asie et d’Australasie, un ‟non” sévère parce que cela n’est pas autorisé en vertu du ‟British Museum Act 1963” et/ou du ‟National Heritage Act 1983”, qui prévoient que les objets considérés comme faisant partie du patrimoine national du pays ne peuvent pas être sortis du Royaume-Uni.
En particulier, en ce qui concerne les objets contestés de la collection du ‟British Museum”, le gouvernement et l’institution britanniques ont brouillé les cartes, proposant le développement de ‟relations à long terme avec les communautés” (sic) faisant les demandes de restitution, signant ‟des protocoles d’accord pour développer des projets mutuellement bénéfiques avec des artistes, des universitaires et d’autres membres de la communauté” (sic), suggérant que certains nouveaux musées soient construits sur les territoires d’états tiers qui ont fait des demandes de restitution pour faciliter les expositions permanentes d’objets, tout en restant farouchement opposés à toute tentative de restitution de ces objets.
Beaucoup pensent qu’une telle attitude rétrograde à l’égard de la restitution des biens culturels volés ou illégalement exportés n‘est plus acceptable, le ‟tour de l’histoire sans filtre” de Vice étant une illustration très poignante du nombre de communautés sous le choc de ne pas pouvoir récupérer leurs objets culturels auprès du ‟British Museum”.
Certains acteurs utilisent même des techniques de guérilla, pour choquer le public et frapper un coup, notamment sur les biens culturels africains. Mwazulu Diyabanza, un militant politique panafricain congolais, a exprimé son soutien à la restitution culturelle et au retrait des artefacts africains des musées européens obtenus pendant la colonisation en faisant irruption dans le Musée du Quai Branly, en juin 2020, puis en prenant un poteau funéraire des habitants de Bari de cette institution française.
2. Restitution des biens culturels: actions entreprises – ou à entreprendre – pour permettre le retour des objets volés ou illicitement exportés vers leur pays d’origine
Alors que le président français Emmanuel Macron est largement détesté en France, notamment en raison de ses manières autocratiques et violentes d’imposer des ‟réformes”, il a été étonnamment avant-gardiste dans son approche de la restitution des biens culturels au cours de son premier quinquennat. En effet, il a chargé l’universitaire sénégalais Felwine Sarr et l’historienne de l’art française Bénédicte Savoy, de rechercher, puis de rédiger, un rapport éthique sur la restitution des biens culturels africains, qui a été publié en novembre 2018 (le ‟Rapport”).
Le Rapport, qui est excellent, extrêmement documenté et globalement équilibré pour trouver une approche appropriée, licite et systématique des restitutions éthiques des biens culturels africains – qui prédominent actuellement dans les collections publiques françaises, qui comptent environ 90.000 objets d’Afrique subsaharienne acquis dans des circonstances douteuses par la France – est un pas majeur dans la bonne direction.
En particulier, le Rapport suggère de modifier le CP, afin d’institutionnaliser le processus de restitution et de l’inscrire dans la loi, dans une nouvelle section 5 dudit CP, relative à la restitution des biens culturels sur la base d’un accord bilatéral de coopération culturelle avec les pays qui étaient autrefois des colonies françaises, des protectorats ou sous mandat français. Cette nouvelle section 5 suggérée du CP, et ce modèle d’accord bilatéral proposé, sont tous deux joints au Rapport, dans son annexe 2. Le Rapport précise qu’un tel processus de restitution ‟ad hoc” serait une exception aux principes généraux d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité du domaine public, notamment pour restituer les objets africains à leur pays d’origine.
De manière utile, le Rapport établit une liste de critères de restitution, proposant même un calendrier suggéré du programme de restitution en trois étapes. Au cours de la première étape, de novembre 2018 à novembre 2019, le Rapport propose de restituer plusieurs biens culturels africains, répertoriés dans le Rapport, à des pays africains tels que le Bénin, le Sénégal, le Nigéria, l’Éthiopie, le Mali et le Cameroun. Au cours de la deuxième étape, du printemps 2019 à novembre 2022, d’autres travaux et initiatives devraient être mis en œuvre, portant sur des inventaires, des partages numériques, des ateliers, des commissions paritaires entre la France et chacun des états africains qui souhaitent récupérer leurs biens culturels. Au cours de la troisième étape, à partir de novembre 2022, le Rapport suggère que le processus de restitution, en ce qui concerne les biens culturels africains en particulier, devienne permanent et permette aux états tiers de continuer à réclamer leurs biens.
Pour l’instant, le Rapport a surtout été un vœu pieux. Cependant, la France a restitué l’épée d’Omar Tall, un érudit et dirigeant islamique du 19ème siècle, au Sénégal en novembre 2019, et a restitué vingt-six œuvres d’art pillées au Bénin à l’époque coloniale, après que son parlement ait adopté une loi ‟ad hoc” autorisant une telle restitution.
Le Royaume-Uni continue d’avoir une attitude de ‟stiff upper lip” lorsqu’il s’agit de demandes de restitution. Cependant, beaucoup pensent que cela n’est plus acceptable et poussent soit à la promulgation de nouvelles lois prévoyant de nouvelles exceptions au ‟British Museum Act 1963”, soit à une refonte complète de cette loi (même si, après de tels amendements, les administrateurs du ‟British Museum” traiteraient chaque demande de restitution au cas par cas). Une faille potentielle dans l’arsenal juridique britannique avait même été identifiée dans le ‟Charities Act 2022”, avec ses nouvelles sections 15 et 16 permettant aux organismes de bienfaisance, y compris les musées nationaux comme le ‟British Museum”, de restituer des objets si les fiduciaires se sentaient moralement obligés de le faire et avaient obtenu l’approbation des tribunaux britanniques, de la commission caritative ou du procureur général. Cependant, en novembre 2022, le gouvernement britannique a reporté l’introduction de ces dispositions légales qui auraient permis aux musées nationaux de retirer des objets de leurs collections pour des raisons morales.
Avec jusqu’à quatre-vingt-dix pour cent de l’héritage culturel matériel de l’Afrique subsaharienne en dehors du continent africain, par exemple, selon le Rapport, il reste encore beaucoup à faire, en France et au Royaume-Uni, pour restituer les biens culturels à leurs propriétaires et pays légitimes d’origine, et mettre les choses en ordre. Des initiatives privées, telles qu’une récente initiative de USD15 millions sur quatre ans de l’‟Open Society” de George Soros, espèrent stimuler les efforts de réparation grâce à un soutien juridique, financier et technique aux gouvernements, organismes régionaux, musées, universités et sociétés civiles.
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