
De manière peut-être surprenante dans un gouvernement conservateur, les règles IR35 ont été resserrées, afin de garantir que le fisc obtienne sa juste part de revenus, lorsque les créateurs et leurs clients concluent des accords contractuels d’ ‟entertainment”, de cinéma, de médias et de sports professionnels. Quels sont les enjeux pour les industries créatives au Royaume-Uni? Comment tirer le meilleur parti des sociétés de prêt (‟loan-out companies”) et des accords de prêt (‟loan-out agreements”), tout en garantissant le respect des règles révisées de l’IR35?
1. Que sont les sociétés de prêt?
Dans l’industrie de l’ ‟entertainment”, les comptables conseillent souvent à leurs clients, qui travaillent comme talents et équipes clés dans les secteurs du cinéma, de la télévision, du sport et des médias, de créer une société de services personnels (‟personal service company”, ‟PSC”) avec ‟Companies House”, le registre du commerce et des sociétés au Royaume-Uni (‟RU”).
Ces sociétés de services personnels sont également appelées sociétés de prêt (‟loan-out companies”) parce que c’est le terme de jargon par lequel on se réfère à elles, venant des États-Unis. En effet, les États-Unis, en tant que leader mondial de l’industrie de l’ ‟entertainment”, ont été le premier pays où les créateurs ont utilisé cette forme d’entités commerciales américaines pour prêter leurs services, via la personne morale, à leurs clients finaux.
Le créateur est en général l’unique actionnaire et directeur de la société de prêt.
L’entité de prêt est engagée par des tiers externes (c’est-à-dire les clients finaux) pour fournir des services de divertissement, de médias ou de sports professionnels, qui seront exécutés uniquement par le créateur. Par conséquent, c’est la société de prêt du talent qui est mentionnée, et responsable, dans les contrats d’exécution des services requis.
Étant donné que les services du créateur sont généralement fournis sur la base de contrats individuels, en échange de sommes importantes et irrégulières de revenus tout au long de l’année, le modèle commercial de prêt est particulièrement important dans les industries de l’ ‟entertainment”, des médias et des sports professionnels.
L’article 17 du traité sur l’impôt sur le revenu modèle de l’OCDE de 1930 semble être le fondement sur lequel les structures de sociétés de prêt peuvent être utilisées, car il dispose que les athlètes, les célébrités, les artistes qui opèrent dans plusieurs pays et qui gagnent donc des revenus dans plusieurs systèmes fiscaux nationaux, ne peuvent être imposés que dans la source de revenus de leur juridiction d’origine (même sans personne morale établie).
Dans les années 1970-1980, les sociétés de prêt, ou PSCs comme les appelle plus communément le fisc britannique, HMRC et les législateurs britanniques, étaient largement utilisées par les artistes, les meilleurs talents et équipes, ainsi que les sportifs professionnels, au RU.
2. Comment utiliser les PSCs et accords de prêt?
Les sociétés de prêt sont utilisées comme un moyen de réduire la responsabilité personnelle du talent, ainsi que de protéger ses biens personnels.
En effet, étant donné que la PSC est la seule partie à tout contrat de services conclu avec le client final, ce-dernier ne peut pas poursuivre les actifs personnels et la responsabilité du créateur, au cas où les choses tourneraient mal pendant la phase d’exécution de ces prestations de service. Le client final – qui est la contrepartie à cet accord de prêt – ne pourra que poursuivre la PSC et mettre en jeu la responsabilité limitée de cette société de prêt.
En outre, au RU, les sociétés privées à responsabilité limitée par actions (‟private companies limited by shares”) (qui représentent plus de 95 pour cent de toutes les sociétés existantes dans ce pays) limitent la responsabilité de leurs actionnaires envers les créanciers de la société au montant du capital initialement investi, c’est-à-dire à la valeur nominale des actions et toute prime payée en contrepartie de l’émission des actions par la société. Ainsi, le patrimoine personnel d’un actionnaire est protégé en cas d’insolvabilité de la société ou de responsabilité accrue envers un tiers.
De plus, au RU, le voile corporatif (‟corporate veil”) est épais et peu ou pas facile à percer: les administrateurs de sociétés britanniques n’encourent aucune responsabilité personnelle car tous leurs actes sont entrepris en tant qu’agents de la PSC. Bien qu’il existe certaines circonstances où la responsabilité personnelle peut être mise en jeu par les tribunaux britanniques, en particulier en ce qui concerne les transactions illicites ou frauduleuses, il est rare que le voile de l’entreprise soit percé et que les propriétaires soient tenus responsables, sur leurs propres actifs, de payer les dettes de la société à responsabilité limitée.
Dans un accord de prêt, la partie qui est la société de prêt est généralement responsable de la gestion des taxes et/ou de toute cotisation d’assurance nationale applicable (‟NICs”) sur tous les paiements effectués en vertu de cet accord, par la contrepartie.
Cette structure de prêt est donc avantageuse et flexible pour le client final, qui n’est pas gêné par les règles de HMRC en matière d’impôt sur le revenu et de NICs d’employeur payables sur les salaires des employés, ainsi que par les réglementations protectrices de droit du travail s’appliquant aux employés et aux indépendants/freelancers portant, notamment, sur le droit au congé, le salaire minimum national, la retraite professionnelle et le maximum de 48 heures de travail par semaine.
Ce dispositif de prêt présente également certains avantages fiscaux pour le créateur: premièrement, l’éventail des dépenses que la PSC pourra imputer sur ses bénéfices imposables sera beaucoup plus large que celui qu’un salarié peut imputer sur son revenu imposable. Deuxièmement, il y aura un avantage en termes de trésorerie en évitant que l’impôt sur le revenu ne soit prélevé à la source chaque mois. Troisièmement, le particulier, en tant qu’actionnaire, peut être en mesure de recevoir des dividendes de sa société de prêt, ce qui est une alternative plus avantageuse sur le plan fiscal que de ne recevoir que des revenus en tant qu’employé de la PSC, puisque cette forme de revenu de dividendes n’est pas soumis aux NICs.
Par conséquent, les contrats de prêt conduisent souvent à des situations gagnant-gagnant, pour les talents et leurs clients finaux, à condition que ces contrats de services soient correctement rédigés. En particulier, la société de production doit s’assurer que toute la propriété intellectuelle créée par le talent est attribuée à la production.
Ces accords de prêt sont généralement appelés ‟accord avec le producteur” (‟producer agreement”) ou certificat d’engagement (‟COE”). En effet, un COE transfère à un studio ou à une société de production tous les droits sur les résultats et le produit des services d’un entrepreneur indépendant (talent comme un acteur, un producteur, un mannequin, un réalisateur ou un sportif professionnel) sur une production de divertissement, comme un téléfilm, un film cinématographique, une série télévisée ou en ligne, un contenu de médias sociaux ou une publicité. Le COE comprend des dispositions sur le travail effectué ‟work-for-hire” et sur la cession de droits. Les parties négocient et signent le COE rapidement après s’être mis d’accord sur toutes les conditions contractuelles, avant de conclure un accord détaillé, tel qu’un accord avec le producteur, à un stade ultérieur.
Comme il peut y avoir certains risques avec l’approche de prêt, dans le cas où le COE et/ou l’accord détaillé sont rédigés de manière incorrecte, il est préférable de demander des conseils juridiques d’experts lors de la rédaction, de l’examen et de la négociation d’un accord de prêt.
3. Quel est l’avenir des sociétés et des accords de prêt dans le nouveau paysage IR35 ?
Alors que j’ai souligné que les accords de prêt peuvent être un arrangement gagnant-gagnant pour le créateur et ses clients finaux, il y a une entité qui a beaucoup à y perdre: le fisc.
À la fin des années 1990, on craignait que les PSCs soient largement utilisées, au RU, pour masquer le fait que, dans de nombreuses situations, les individus travaillaient, de fait, en tant qu’employés de leur client, tout en bénéficiant des avantages fiscaux de la structure de prêt.
Pour contrer ce type d’évasion fiscale dans le Budget de mars 1999, le gouvernement travailliste a annoncé qu’il introduirait des dispositions permettant aux autorités fiscales d’examiner une relation contractuelle, où les services étaient fournis par un intermédiaire tel qu’une PSC, mais où la relation sous-jacente entre le travailleur et le client avaient les caractéristiques d’un emploi salarié. Dans ces circonstances, selon les propositions travaillistes, l’engagement serait traité comme un emploi salarié à des fins fiscales.
Une disposition à cet effet a été inscrite dans la loi de finances 2000, effective à compter de l’année d’imposition 2000/01. La législation est communément appelée ‟IR35”, du nom du numéro de la note de presse du Budget qui a d’abord annoncé cette mesure.
Depuis 20 ans, l’IR35 est restée controversée, mais a été retenue, même par les gouvernements conservateurs qui ont succédé à celui des travaillistes.
Cependant, les inquiétudes se sont intensifiées lorsqu’il a été découvert que l’utilisation des PSCs était courante chez les cadres supérieurs du secteur public et chez les prestataires travaillant pour la chaîne de télévision publique BBC.
Depuis 2014, les différents gouvernements conservateurs ont fait table rase, en réformant le fonctionnement des règles IR35 dans le secteur public. Suite à ces réformes de l’application de l’IR35 dans le secteur public, le gouvernement a introduit une législation pour apporter des changements similaires pour le secteur privé qui sont entrés en vigueur à partir d’avril 2021.
Comment ces changements affectent-ils les créateurs des industries de l’ ‟entertainment”, des médias et du sport professionnel depuis avril 2021?
A partir du 6 avril 2021, les règles IR35 s’appliquant aux PSCs transfèrent la responsabilité du PSC, à l’organisation qui reçoit les services du talent.
Avant le 6 avril 2021, c’était la société de prêt qui était responsable de l’évaluation et du paiement de l’impôt sur le revenu et/ou des NICs pour les services fournis par le créateur/talent.
Les réformes du gouvernement pour les entreprises du secteur privé visent à améliorer le respect des règles IR35 en transférant la responsabilité de l’évaluation et du paiement de l’impôt, du prestataire, au client final. Cela signifie, dans le contexte cinématographique, médiatique et sportif, qu’un producteur engageant les services d’un talent est désormais chargé d’évaluer si cet individu devrait être légalement traité comme un employé s’il était engagé directement par le producteur, plutôt que par l’intermédiaire de la société de prêt et, le cas échéant, de déduire avec précision l’impôt sur le revenu et les NICs du paiement fait à l’individu.
Cependant, ce changement ne concerne que les larges et moyennes entreprises, ce qui signifie que les producteurs qui entrent dans la catégorie des ‟petites entreprises” ne sont pas concernés par les nouvelles dispositions de l’IR35. On ne sait pas encore comment une ‟petite entreprise” sera définie par HMRC, et quels critères seront appliqués par HMRC à toute évaluation quant à la taille de l’entreprise.
Par exemple, notre cabinet d’avocats Crefovi a récemment conseillé un client, dont les services de production ont été retenus par une société de production travaillant pour le compte de la BBC, le diffuseur commanditaire d’une prochaine série télévisée, via sa société de prêt. Lorsque j’ai demandé à ce client quel était le budget de ces séries télévisées, puisque ces informations n’étaient pas divulguées dans le projet d’accord de producteur qu’il nous avait demandé d’examiner et d’analyser en son nom, il a répondu ‟10 millions de livres sterling”. Je dirais que cette taille de budget place définitivement la société de production mandatée par la BBC dans la catégorie des ‟moyennes à grandes entreprises”. Pourtant, l’avocat de la société de production avait rédigé l’accord de prêt de telle manière que la charge de payer tout impôt sur le revenu et toutes charges de NICs, sur les paiements du producteur, incombait uniquement à la société de prêt de notre client, et non à la société de production.
Même si HMRC a confirmé, dans ses orientations sur les nouvelles règles IR35, que ‟les clients n’auront pas à payer de pénalités pour les inexactitudes, au cours des 12 premiers mois, concernant les règles de travail hors paie, quel que soit le moment où les inexactitudes sont identifiées, à moins qu’il n’y ait preuve de non-conformité délibérée”, et que HRMC ‟n’utilisera pas les informations acquises à la suite des modifications apportées aux règles de travail hors paie pour ouvrir une nouvelle enquête de conformité sur les déclarations des années d’imposition avant 2021 à 2022, sauf s’il y a une raison soupçonner une fraude ou un comportement criminel”, il semble que les sociétés de production britanniques et leurs comptables et avocats ferment toujours les yeux sur leurs nouvelles responsabilités, après avril 2021. Cela déclenchera de nombreuses enquêtes de conformité auprès d’HMRC et, sans aucun doute, des litiges fiscaux, dans les années à venir.
Surveillez cet espace et, si vous êtes un créateur responsable, ou un propriétaire de société de production, contactez-nous, chez Crefovi, afin que nous puissions vous conseiller sur la façon de continuer à récolter les avantages des sociétés et structures de prêt, tout en minimisant les risques juridiques et fiscaux accrus engendrés par ce cadre IR35 plus contraignant.
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